« Aimez vos ennemis »

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Homélie prononcée le 23 février 2020

Frères et Sœurs,

Au début de ce mois de février, nous avons fêté la présentation de l’enfant Jésus au Temple de Jérusalem. Et mercredi prochain, nous allons commencer le Carême, avec l’imposition des Cendres qui nous rappellera que notre existence est précaire, et que le Christ est mort et ressuscité à Pâques pour nous conduire à la vie éternelle. Entre cette enfance du Christ et sa résurrection à Pâques, nous entendons pendant trois dimanches de suite son grand discours qu’il a prononcé en Galilée, sur le mont des Béatitudes, au début de l’évangile selon saint Mathieu. Après avoir dit à ses disciples qu’ils sont le sel de la terre et la lumière du monde, et après avoir affirmé qu’accomplir la loi de Dieu ou obéir à sa volonté n’est pas d’abord une question de comportement ou d’attitude extérieure mais relève avant tout du cœur et de l’intériorité humaine, le Christ Jésus continue de solliciter notre cœur et il fait, aujourd’hui, un pas de plus en nous demandant l’impossible : « aimez vos ennemis ».

Vous avez appris la loi du talion « œil pour œil, dent pour dent » qui a la vertu de faire réagir à une agression par une réponse proportionnée, ce qui a pour effet d’interdire un usage disproportionné de la force quand on se trouve confronté à une situation de violence. Eh bien, moi je vous dis d’aller plus loin que cette logique de réciprocité du donnant-donnant, coup pour coup, parce que cette logique ne vous fera pas sortir du désir de revanche et de vengeance, et parce que cette logique purement comptable entretiendra les rancœurs ou les injustices larvées prêtes à exploser, non seulement dans les incivilités entre citoyens, non seulement dans les conflits armés entre nations, mais aussi dans les relations économiques et sociales à l’intérieur d’un pays, ou même entre les continents. Et je vous dis d’aller plus loin que cette logique de strict échange, et de sortir de vous-mêmes en vous ouvrant à une logique de gratuité, de désintéressement, qui seule vous permettra de bâtir la paix avec vos adversaires. Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends lui encore l’autre joue. Si quelqu’un veut te prendre ta tunique, donne-lui ton manteau. Si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.

Frères et Sœurs, tous ces exemples qui nous paraissent aberrants au regard de ce que nous appelons notre bon sens et notre bon cœur sont des exemples provocateurs qui ne visent qu’une seule chose, nous faire sortir non seulement de nos instincts naturels qui peuvent se déchaîner au moindre mal, mais nous faire sortir également de la paix trompeuse qui ne repose que sur l’équilibre des forces et l’absence de conflits. Et l’appel du Christ à ne pas en rester au silence des armes est un appel à changer de regard sur les adversaires, afin de se donner pour l’avenir les moyens de construire avec eux une paix qui soit durable et véritable. « Aimez vos ennemis », sonne a priori comme une mission impossible. Et, d’ailleurs, Jésus nous le dit clairement dans saint Jean : « sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5).

C’est donc avec lui, dans son Esprit-Saint de sagesse et de force, de discernement et d’audace, que ses disciples ont compris le sens de cette mission.

Les situations les plus terribles, nous les connaissons plus ou moins. Ce sont les innocents les plus faibles et les plus impuissants qui sont persécutés, martyrisés, massacrés par des bourreaux barbares dont on se dit spontanément qu’ils ne sont plus des êtres humains.

Mais notre foi nous dit aussi que, même ressuscité dans la gloire de Dieu, Jésus le Christ, en ce moment où nous parlons, porte et prend sur lui volontairement, par amour pour notre humanité, toutes ces horreurs qui dépassent notre entendement. Lui et lui seul, vrai Dieu né du vrai Dieu, lumière née de la lumière, il s’unit mystérieusement par son incarnation à tout homme, toute femme, tout enfant, comme l’a dit et redit le pape Jean-Paul II. Et il est là présent, au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, qui souffre en silence et qui meurt avec les victimes des génocides et des guerres, des fanatismes et des haines. Nous savons que les saints et les saintes sont innombrables qui ont prié pour leurs persécuteurs, et qui leur ont pardonné avant de mourir, de saint Etienne à sainte Maria Goretti. Les martyrs de la foi et de la charité sont trop nombreux pour qu’on les énumère. Et avec eux, il y a aussi tous ces plus petits dans défense qui, au lieu de mourir en haïssant leurs assassins, accomplissent la loi du Christ en mourant sans les maudire, et en posant par leur mort la grande question sans réponse que nous posons tous « pourquoi ? », cette question que seul l’amour du Christ aide à porter dans la ferme espérance qu’un jour il essuiera toute larme de nos yeux, comme il nous l’a promis (Ap 21,4).

Mais le commandement d’aimer ses ennemis ne s’adresse pas qu’à ceux qui tombent désarmés sous les assauts et les attaques. Le commandement d’aimer ses ennemis s’adresse également à ceux qui doivent exercer la force et lancer des assauts et des attaques pour neutraliser des initiatives hostiles et assurer une défense légitime. Et, sur le terrain très classique des guerres conventionnelles, on trouve des exemples édifiants de l’amour des ennemis qui consiste à les respecter même si c’est aussi pour dénoncer leurs égarements.

Vous connaissez les dernières paroles du chevalier Bayard agonisant au duc de Bourbon qui vient de trahir le roi François Ier : « je meurs en homme de bien, mais j’ai pitié de vous qui servez contre votre prince, votre patrie, votre serment ». Voilà comment ce combattant sans peur et sans reproche respecte son ennemi en lui rappelant, sans injure et sans haine, son infidélité à leur commun souverain. C’était en 1524. Et si l’amour des ennemis peut prendre la forme de ce respect plein de pitié, il peut aussi s’exercer par un autre respect, plein de réserve et de retenue. C’est ainsi qu’au milieu du XIXe siècle, en 1846, le mémorial des officiers d’infanterie et de cavalerie demande aux officiers et aux sous-officiers d’empêcher les soldats de fouiller ou dépouiller les morts sur les champs de bataille, et de traiter les prisonniers avec les égards dus à leur rang (ch. IV, p. 64).

Que devient aujourd’hui, Frères et Sœurs, le respect qu’on a pour ses ennemis quand tous les moyens semblent bons pour avilir et salir ses adversaires aussi bien dans les campagnes électorales que dans les affaires publiques ? A l’approche du Carême, demandons au Christ non pas de ne pas avoir d’ennemis, puisque lui-même en a eu. Mais demandons au Christ la grâce de combattre ou de supporter les ennemis, en croyant qu’un jour le pardon et la paix seront possibles, et que nous ferons mémoire des douleurs endurées comme on fait mémoire de la passion du Christ pendant la messe, à l’Eucharistie, c’est-à-dire dans son amour et dans sa vie, parce que c’est seulement dans cet amour et dans cette vie que le monde connaîtra le salut et la joie. Puissions-nous être les serviteurs et les messagers de cette bonne nouvelle, heureux de dire à nos contemporains les merveilles de Dieu que nous portons dans notre cœur. Amen.

Père Patrick Faure

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