Epiphanie

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Homélie prononcée le 6 janvier 2019

Les mages scientifiques et croyants
Fête de l’Epiphanie – (Mt 2,1-12)

Frères et Sœurs,

cet évangile que nous venons d’entendre ne nous a pas dit que les mages étaient au nombre de trois. Ils n’étaient peut-être que deux, ou alors quatre ou plus. Mais la tradition chrétienne a décidé qu’ils étaient trois parce que ces mages représentaient toute l’humanité qui venait aux pieds du Christ, et que, pendant de longs siècles chrétiens, cette humanité se répartissait sur les trois seuls continents connus qui étaient l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Il y avait donc trois mages, un par continent.

Et cette même tradition a fait de ces mages des rois parce que ces mages sont venus de loin à Jérusalem et que le prophète Isaïe avait prédit qu’un jour les rois venus d’Orient passeraient par les portes de Jérusalem (Is 60,1-6), et aussi parce qu’un psaume de la Bible (Ps 72(71)) avait annoncé l’époque où tous les rois viendraient se prosterner devant le roi d’Israël. Voilà pourquoi les mages sont devenus les trois rois-mages.

Mais cette liberté d’interprétation que la tradition chrétienne a prise avec le récit de saint Matthieu ne remet pas en cause le fait que les mages ont bien existé, qu’ils sont venus d’Orient et qu’ils ont été guidés par une étoile ou en tout cas par un astre. Comme vous vous en souvenez sans doute, le pape Benoît XVI a écrit sur l’enfance de Jésus en 2012. Il a rappelé la critique déjà ancienne qui considère que l’histoire des mages guidés par une étoile est une histoire inventée de toute pièce ou presque pour dire que la foi chrétienne est universelle. Face à cette critique, le saint Père a bien rappelé – en citant un exégète allemand (K. Berger) – que « contester par pur soupçon la vérité historique de ce récit [est une attitude qui] va au-delà de toute compétence imaginable d’historien »1.

Et le saint Père de rappeler que depuis le XVIIe siècle plusieurs astronomes européens ont établi qu’il y a eu dans notre ciel une conjonction des planètes Jupiter et Saturne entre les années moins 7 et moins 6 avant notre ère, c’est-à-dire pendant la période la plus probable de la naissance de Jésus2. Or, dans la culture perse et babylonienne des mages, Jupiter était le représentant du dieu de Babylone, et Saturne représentait le peuple juif qui avait été déporté à Babylone et qui était revenu à Jérusalem.

A cela il fallait ajouter la prophétie du prophète païen Balaam qui avait prédit qu’un astre sortirait d’Israël et dominerait le monde (Nb 24,17-18). Le récit des mages rapporté par saint Matthieu a donc en sa faveur des éléments scientifiques et historiques solides qui le rendent crédible dans son fond.

Et de ce récit, nous devons retenir ce matin qu’il conjugue la science et la foi, car les mages sont des hommes de science et des hommes de foi. L’Evangile ne sépare pas ces deux qualités. L’Evangile ne met pas d’un côté le travail scientifique — de l’historien ou de l’astronome — qui procède par observation, par calcul, par hypothèses, par démonstration, et, d’un autre côté, l’acte de foi du croyant qui reçoit de Dieu une lumière supérieure à celle de la raison sur le sens de l’existence et sur la destinée ultime de l’humanité.
Au contraire, l’Evangile d’aujourd’hui, à travers les mages, tient ensemble, et dans une belle harmonie, d’un côté la recherche scientifique et technique par laquelle nous scrutons le ciel et maîtrisons le monde, et, d’un autre côté, la démarche de foi par laquelle nous croyons que ces sciences et ces techniques ne sont pas des instruments de pouvoir qui nous érigent en maître absolus de l’univers, mais sont, au contraire, des instruments de service qui nous demandent de progresser dans la justice et dans la paix, en nous laissant guider par le sens de Dieu et la grandeur de l’homme, comme l’ont fait les mages.

La question que l’Evangile d’aujourd’hui nous pose est donc la question de savoir comment nous utilisons les pouvoirs nouveaux que les sciences et les techniques nous donnent aujourd’hui, tant dans nos vies privées que dans nos réformes sociétales ou nos projets de civilisation.

Si l’utilisation de ces pouvoirs s’impose de respecter la transcendance de Dieu et la dignité humaine qui lui ressemble, alors l’humanité avancera vers son salut, et elle pourra entendre la voix des prophètes qui lui dira – comme aux mages de l’Evangile – que l’Homme-Dieu, l’homme divin, divinisé, ne se fabrique pas à coups de biotechnologie transhumanisante, mais qu’il se reçoit d’en-haut, comme une naissance, dans l’amour et le respect des plus pauvres. Et les crèches de Noël garderont tout leur sens dans nos églises et dans nos maisons.

Mais si l’illusion et l’ivresse de la toute-puissance règnent en haut-lieu sur la mise en œuvre des pouvoirs scientifiques et technologiques, alors notre humanité n’écoutera que ses propres pulsions, et ses appétits déraisonnables, et elle les imposera par la loi du plus fort qui définira par lui-même ce qu’est le Bien, ce qu’est le Mal, ce qu’est la Vérité, ce qu’est la Vie. Et cette humanité-là se fera Dieu à la place de Dieu. Mais elle sera en même temps l’artisane de sa propre déchéance, car à force de fonctionner de manière cérébrale et informatique, elle aura oublié les battements de son cœur, et elle aura sacrifié l’amour des personnes et de leur liberté au diktat des systèmes et des modèles artificiels. Qui nous sauvera de la déshumanisation et de la dénaturation qui semblent aujourd’hui si bien armées par les progrès de la modernité ?

La réponse est peut-être à chercher du côté des mages de l’Evangile qui sont humbles mais audacieux, et qui pourraient bien être une figure de la science la plus avancée dans notre monde moderne.

Car aujourd’hui la science la plus avancée n’est pas que recherche et conquête effrénée de nouvelles techniques, pour de nouveaux marchés ou de nouveaux pouvoirs. Non, Frères et Sœurs, aujourd’hui la science la plus pointue est plutôt modeste, au fur et à mesure de ses propres découvertes, car elle se rend compte que l’infiniment petit et l’infiniment grand nous échappent en bonne partie, et que les équations qui régissent notre environnement et qui sont valables à notre échelle ne le sont plus au niveau des particules élémentaires de la matière ni au niveau des espaces intersidéraux.

De plus en plus il faut faire appel à des considérations autres que matérielles et physiques pour expliquer le comportement de l’univers, les mécanismes de l’évolution et le fonctionnement du cerveau humain3. Et la conviction gagne du terrain que si l’univers a engendré en son sein l’être humain qui est capable de le penser, alors c’est peut-être parce que cet univers a lui-même son origine dans une pensée qui lui donne son sens et son existence4.
L’émergence de la vie et de la conscience humaines seraient finalement moins dues au hasard et à la sélection naturelle, comme nous l’avons longtemps pensé, et seraient plutôt « programmées » en quelque sorte dans les conditions initiales de l’univers et dans les constantes fondamentales de la matière5.

Tout cela pour dire, Frères et Sœurs, qu’au moment où les perspectives de remodelage et de rédéfinition de l’humanité peuvent avoir quelque chose d’impressionnant ou d’inquiétant, la recherche scientifique elle-même tend à démontrer que l’être humain ne s’est pas fait tout seul, par lui-même, et qu’il ne peut pas se prendre pour son propre créateur.

C’est peut-être en écoutant cette voix intérieure à la science elle-même que certaines mises en œuvres des technologies actuelles pourront garder le sens de la mesure, de la sagesse et du respect de l’univers et de l’humain.

En tout cas, l’Evangile d’aujourd’hui nous dit que cette voix intérieure à la science peut guider bon nombre de chercheurs vers la vérité du monde et de l’humanité, en leur donnant des intuitions justes sur la création. Et ceux d’entre eux qui voudront poursuivre le voyage, et rencontrer le Créateur, devront alors écouter la parole des prophètes et la révélation de Dieu qui leur parleront de l’Amour éternel, créateur et sauveur.

Alors, en cette fête de l’Epiphanie, Frères et Sœurs, tenons fermes dans l’espérance que Dieu saura nous guider dans notre usage des moyens fabuleux qui sont aujourd’hui à notre disposition, pour que nous n’y perdions pas notre âme, mais pour que nous y gardions le sens de notre dignité, afin que ces moyens nous permettent de grandir en humanité, en vraie liberté, en capacité de nous aimer les uns les autres, parce que c’est là qu’est notre vie et notre avenir d’enfants de Dieu. Amen.

Père Patrick Faure

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