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Homélie prononcée le 5 janvier 2020
Frères et Sœurs,
Vous vous en souvenez peut-être, le pape Benoît XVI a publié en 2012 un livre sur l’enfance de Jésus dans lequel il rappelle les éléments scientifiques et historiques solides qui rendent crédible en son fond le récit des mages que nous venons d’entendre dans l’évangile selon saint Matthieu. Il y a bien eu dans le ciel une conjonction astrale qui a pu guider ces savants orientaux jusqu’à Jérusalem.
Cela étant, le récit évangélique ne nous dit pas que les Mages sont au nombre de trois, ni qu’ils sont des rois. Aujourd’hui nous savons que ce titre de « rois-mages » a été ajouté par la tradition chrétienne ultérieure qui s’est inspirée des prophéties de l’Ancien Testament pour bien faire comprendre que Jésus n’est pas seulement le messie d’Israël, mais qu’il est aussi le sauveur de toutes les nations représentées par les rois venus de loin pour l’adorer.
Reste que, de toute façon, avec ou sans rois, ces hommes orientaux sont bien des mages, donc des sages et des savants. Ils ont lu dans les étoiles qu’une haute naissance allait se produire chez les juifs. Et en scrutant le ciel avec leurs instruments de mesure, ils ont suivi l’astre brillant qui les a guidés jusqu’à Jérusalem. Leur sagesse est technique et scientifique. Et elle est grande. Et grâce à cette sagesse, les mages s’approchent du Dieu trois fois saint.
Mais pourtant cette belle sagesse va connaître une éclipse. L’étoile va disparaître à Jérusalem. Elle ne suffira plus à conduire ces hommes jusqu’au Christ, alors même qu’elle les aura conduits sur le bon chemin. Et c’est la tradition religieuse d’Israël qui va prendre le relais. C’est la Bible, et plus précisément, la voix des prophètes qui va leur dire d’aller à Bethléem. C’est la révélation de Dieu qui a parlé par les prophètes qui va finir de les guider jusqu’aux pieds de Jésus. Et lorsque la parole de Dieu donnée par les prophètes aura parlé - vous l’avez entendu - l’étoile apparaîtra de nouveau. La sagesse des Mages retrouvera tout son éclat. Et les Mages, nous dit l’évangile, éprouvèrent une très grande joie. C’est la joie messianique, la joie d’avoir trouvé le messie, la joie qui confirme que la sagesse des mages était dans le vrai.
Frères et Sœurs, ce récit des Mages orientaux avec toute leur science, avec leur sagesse qui a ses vertus et ses insuffisances, est comme une parabole de la connaissance de Dieu. Les hommes peuvent connaître quelque chose de Dieu, grâce à la sagesse que Dieu a mise en eux. Ils peuvent s’approcher de Lui, et venir tout près de Lui, comme les mages qui sont venus à Jérusalem, tout près de Bethléem où est Jésus. Mais s’il manque aux hommes la révélation biblique, ils ne pourront pas trouver Dieu clairement et pleinement.
Depuis le 1er concile du Vatican qui a eu lieu en 1870, il est de foi catholique de croire que ceux qui, sans faute de leur part, ignorent la révélation du Christ peuvent, néanmoins, s’approcher du salut, en suivant l’étoile de leur conscience qui luit au fond de leur cœur, à condition qu’ils obéissent avec sagesse et rectitude aux impulsions de la grâce. Ils sont dans le vrai. Ils sont sur le bon chemin, et ils trouveront Dieu à leur dernier jour. Mais en même temps, jusqu’à leur dernier jour, leur salut se fera dans l’ombre et dans l’incertitude sur les dispositions de Dieu à leur égard. Et, à coup sûr, ils ne pourront pas, dès ce monde ici-bas, éprouver la grande joie messianique de trouver leur sauveur et de venir l’adorer, comme l’ont fait les mages. Ils ne pourront pas éprouver cette grande joie tant qu’ils resteront à l’écart de l’Israël de Dieu, c’est-à-dire à l’écart de l’Église qui garde le trésor d’Israël que sont les Écritures bibliques.
La foi de l’Église est de croire que tous ceux-là qui n’auront pas eu la chance de connaître clairement Dieu grâce aux écritures prophétiques, mais qui auront cherché Dieu à la lumière de leur conscience et de leur dignité humaine, tous ceux-là auront marché dans la bonne direction. Et quand ils arriveront au Ciel, ils découvriront enfin leur sauveur et la bonté de la vérité.
L’Épiphanie nous dit, Frères et Sœurs, que les hommes sont tous capables d’avancer sur le chemin de la connaissance de Dieu, et que cette connaissance est d’abord la connaissance naturelle et rationnelle accessible à tous ceux qui regardent vers le ciel. Mais pour aller jusqu’au bout, jusqu’à la pleine lumière, cette connaissance doit, à un moment ou à un autre, s’ouvrir à la connaissance surnaturelle ou encore prophétique donnée par la révélation du Christ qui est le Messie d’Israël et le sauveur des Nations.
En un mot, l’Épiphanie célèbre la capacité de l’humanité à progresser vers Dieu. L’Épiphanie célèbre cette potentialité de l’être humain qui peut par lui-même, naturellement, connaître quelque chose de Dieu, puisqu’il est à son image et à sa ressemblance, mais potentialité de l’être humain qui, à partir de là, peut progresser encore vers la pleine connaissance de Dieu qu’on ne peut recevoir que de la révélation judéo-chrétienne attestée par la Bible et par la Tradition d’Israël et de L’Église. Cette capacité de progression reconnue à la nature humaine est une marque d’optimisme résolu malgré tout le mal dont les hommes sont capables.
Vous voyez, Frères et Sœurs, il n’est pas de foi catholique de penser que le monde est tellement pécheur, mauvais ou perverti qu’il n’est plus capable d’aucun élan vers Dieu. L’Église tient, au contraire, que l’homme, même pêcheur mauvais ou perverti, est encore à l’image de Dieu et capable d’une vie surnaturelle ouverte à la parole des prophètes. Il n’y a pas là candeur naïve ou grotesque utopie. Non, il y a là une foi puissante en un Créateur plus puissant que le mal.
Il faut s’en souvenir. Il faut s’en réjouir. La foi de l’Église maintient sur la personne humaine un regard d’espérance qui est plus jeune que nos tristesses et nos désillusions.
Et la suite de l’histoire, vous la connaissez. Avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, les Mages sont repartis par un autre chemin. Changer de chemin, en langage biblique, veut dire « se convertir ». Le retour des Mages par un autre chemin est une parabole de leur conversion. Tout homme touché par la grâce et conduit jusqu’au Christ est appelé à changer de chemin et à se convertir, c’est-à-dire à se tourner vers Dieu dans sa vie concrète et pratique. C’est ce qu’ont fait les mages en offrant au Christ l’or, l’encens et la myrrhe, et tout ce que ces objets symbolisent.
Offrir son or au Christ, c’est utiliser ses richesses pour que la paix règne, et non la guerre et la destruction. Offrir son encens au Christ, c’est ne plus encenser les faux dieux en qui l’on met tous ses espoirs, la croissance indéfinie de l’économie, le progrès indéfini de la technologie, et adorer l’infini éternel amoureusement incarné dans les limites humaines. Offrir la myrrhe au Christ, cette plante qui sert à embaumer les morts, c’est renoncer à une immortalité physique artificielle fabriquée par une manipulation de notre biologie cellulaire et organique, et c’est attendre de Dieu que la résurrection de nos corps dans sa gloire achève le processus commencé dès ici-bas de la résurrection de nos cœurs dans son amour et dans son Esprit-Saint.
Qu’en cette Épiphanie du roi des rois, Dieu bénisse celles et ceux qui d’un cœur droit cherchent la vérité religieuse, quelle que soit leur culture, leur tradition et leur famille. Qu’il continue de faire briller la splendeur du Christ, malgré la fragilité des chrétiens. Qu’il continue de faire briller la bonté de l’Église, malgré les péchés de ses enfants.
Qu’il conduise à la plénitude de la révélation celles et ceux qui ne le connaissent qu’imparfaitement. Qu’il les conduise à la grande joie messianique d’adorer leur sauveur, et de voir en lui le vrai Roi, vrai Dieu et vrai Homme. Et que cet enfant qui deviendra grand nous aide à progresser nous aussi dans la connaissance de Dieu et la splendeur de son mystère, afin que nous gardions à notre monde la lumière de l’espérance et de la vie éternelle. Amen.
Père Patrick Faure
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