La Correction Fraternelle

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Homélie prononcée le 6 septembre 2020

Frères et Sœurs,

Cet évangile que nous entendons ce matin nous exhorte à pratiquer ce que l’on appelle classiquement la « correction fraternelle », c’est-à-dire le fait de reprendre quelqu’un qui s’est mis en tort, en s’adressant directement à lui et pas d’abord à d’autres. Cet évangile s’inscrit dans le cadre d’un grand discours du Christ aux jeunes communautés chrétiennes.

Juste avant cette exhortation, le Christ parle de la brebis perdue que le bon berger, c’est-à-dire Dieu le Père, va chercher avec délicatesse et miséricorde. Et juste après, le Seigneur nous demande de pardonner 70 fois 7 fois, c’est-à-dire autant que possible. Autrement dit, la « correction fraternelle » doit toujours être maintenue dans le cadre ou le contexte où Jésus nous la donne, c’est-à-dire dans une délicatesse pleine de miséricorde, et une intention de pardonner autant que possible.

Cela est absolument indispensable, vu la gravité des fautes qui peuvent être commises, fautes qui ne sont pas nécessairement « contre toi », comme le dit le texte de la traduction liturgique officielle, mais qui peuvent être un péché plus général. Si l’on s’en tient à la plupart des manuscrits grecs originaux du Nouveau Testament, le passage de saint Matthieu que nous entendons ce matin ne dit pas « si ton frère a commis un péché contre toi », mais dit, plus simplement, « si ton frère a commis un péché », sans préciser contre qui.

Cela dit, nous le savons bien, une faute commise plus généralement contre tous atteint chacun. Et inversement, une faute grave commise contre quelqu’un en particulier peut atteindre toute la communauté. Ces fautes graves, ce sont des péchés qui se commettent à l’intérieur du monde chrétien, par exemple contre l’unité de la communauté, par division qui peut aller jusqu’à l’excommunication et au schisme. Nous l’avons vu avec Mgr Lefebvre au lendemain du concile. Mais ces fautes graves s’étendent aussi au-delà du monde chrétien. C’est le péché contre la vie, la vie de l’enfant à naître, la vie de la personne âgée devenue encombrante. Péché contre la dignité des enfants et des êtres fragiles dont on a pu abuser de différentes manières, provoquant ainsi des scandales immenses. Mais péché encore contre la dignité des enfants qu’on prive délibérément et légalement d’un père ou d’une mère dès leur naissance, comme nous le voyons en ce moment. Péché aussi contre la liberté par abus de pouvoir politique ou policier qui se croit tout permis. Mais également péché contre le respect des croyants par abus de la liberté d’expression qui se croit elle aussi tout permis. Péché contre la paix par désir de vengeance ou de guerre. Péché contre l’amour finalement, par entretien de la rancune et de la haine, et cela même chez les chrétiens. La liste est longue et large, Frères et Sœurs, et nous en sommes bien conscients. C’est toute l’humanité qui est concernée.

Mais l’évangile vient dans la communauté des chrétiens, et ce matin nous entendons que cette correction fraternelle est un processus, qu’elle est une démarche progressive qui commence au niveau des relations les plus discrètes, les plus immédiates, à l’abri des regards : « si un frère ou une sœur a péché, va le ou la trouver et parle-lui, en tête-à-tête. » Et ce n’est que progressivement que le cercle s’élargit si la personne qui a commis le mal refuse d’entendre la vérité sur ce qu’elle a fait. A ce moment-là, l’évangile invite à étendre le rayon d’intervention jusqu’aux relations les plus visibles et publiques, et envisage même d’aller jusqu’à une rupture officielle : « considère-la comme un païen et un publicain », ce qui est ni plus ni moins qu’une mise à l’écart de la communauté.

Mais même ainsi, la délicatesse et la miséricorde du contexte dans lequel nous nous trouvons ne doivent pas être oubliées, ni le souci de dialogue qui doit pouvoir être maintenu d’une manière ou d’une autre, y compris en cas de sanction lourde à cause de fautes lourdes.

Ce que nous devons comprendre, c’est qu’il s’agit bien entendu de faire la vérité sur le mal commis, mais non pas pour blesser comme le dit le monde qui aime à répéter que « c’est la vérité qui fâche », mais pour sauver. Car la vérité c’est Jésus, c’est le Christ qui sauve. Et saint Jean le dit : « la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ».

La correction fraternelle est une démarche progressive dans laquelle on appelle « bien » ce qui est bien, « mal » ce qui est mal, « mortel » ce qui est mortel, car il ne s’agit pas d’être le sucre mais le sel de la terre. Mais la correction fraternelle est un processus dans lequel on avance non pas en s’érigeant en censeur et en redresseur de torts au verbe haut et à la parole facile qui règle son compte à l’autre, au frère ou à la sœur qui a commis le mal, mais en faisant la vérité avec l’autre, et peut-être avec plusieurs autres, dans l’intention de reconnaître les torts et d’en venir éventuellement à des condamnations et à des justes peines, mais toujours en s’oubliant soi-même, dans le souci de guérir les blessures et d’aider à la réparation des dommages.

Frères et sœurs, l’évangile ne demande pas seulement de neutraliser le mal dans la communauté chrétienne.

L’évangile, et en particulier celui d’aujourd’hui, nous demande de recoudre en permanence et patiemment le tissu déchiré par les fautes des frères et des sœurs, y compris par les crimes les plus scandaleux. Il s’agit de faire la lumière sur les défaillances de tous ordres, mais avec le souci de recoudre, de retisser, de réparer ce qui a été abîmé ou détruit.

La correction fraternelle n’est pas un voile pudique posé sur des plaies sans les désinfecter. Faire ainsi est scandaleux et contraire à l’évangile. Mais la correction fraternelle n’est pas non plus, et nous devons le comprendre, un fer rouge ou chauffé à blanc qu’on brandit pour vaincre le mal par le mal en tuant le pécheur à cause de son péché. Car si, dans le premier cas on trahit la justice en couvrant le mal, dans le second cas on trahit la dignité qu’on prétend défendre en toute personne humaine. La correction fraternelle est cette eau vive jaillie du côté droit du Christ (Ez 47,1), cet Esprit-Saint purificateur cher au prophète Ezéchiel (Ez 36,25) qui, dans la première lecture, nous a demandé de rester vigilants, cet Esprit-Saint d’amour et de vérité, de justice et de paix qui sourd du cœur du Christ pour assainir les situations malsaines, et faire couler une parole vraie qui libère du mensonge, une parole de responsabilité qui oriente vers l’avenir.

Cette correction fraternelle ne peut donc s’accomplir que grâce à la présence du Christ au milieu des croyants. C’est pour cela que le Seigneur nous dit justement ce matin, dans saint Matthieu : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et il ajoute, dans saint Jean : « sans moi vous ne pouvez rien faire ».

Demandons-lui la grâce de pouvoir avancer dans cette correction fraternelle qui est un véritable don de Dieu, dans cette fraternité authentique et délicate qui nous fait grandir dans une liberté de parole et d’affection où nous devenons un peu plus, au milieu du monde, le corps du Christ qui n’est pas venu pour condamner mais pour sauver, le corps du Christ qui n’est pas venu pour tuer ni assassiner les pécheurs que nous sommes, mais pour les prendre dans son amour et les guider vers son père et vers la vie éternelle.

C’est cela le chemin de notre espérance et de notre conversion. Que le Christ nous y conduise maintenant pour que nous puissions célébrer ensemble combien il est notre bon berger qui nous prend et nous reprend sans cesse là où nous en sommes, qui nous rassemble et qui nous unit en faisant de nous, chaque jour un peu plus, des frères et des sœurs dans son amour. Amen.

Père Patrick Faure

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