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Homélie prononcée le 8 novembre 2020
Frères et Sœurs,
il est tentant d’appliquer immédiatement cet évangile que nous venons d’entendre à la situation sanitaire dans laquelle nous sommes. Il est tentant d’appliquer cet évangile bien connu des « vierges folles » et des « vierges sages » à ce nouveau confinement dans lequel nous entrons. Car, nous pouvons nous demander s’il ne serait pas sage d’accepter, bon an mal an, d’être privé de la célébration eucharistique du dimanche, et s’il ne serait donc pas folie d’attendre du conseil d’état qu’il autorise la messe, et donc aussi tous les autres cultes, même sous certaines conditions. Mais, inversement, nous pouvons aussi nous demander s’il ne serait pas plutôt sage d’insister auprès des pouvoirs publics pour qu’ils respectent la liberté de culte, et s’il ne serait donc pas folie de consentir à un jeûne de l’Eucharistie et de la messe qui aurait tout d’une mort spirituellement programmée. Il serait tentant de chercher dans l’évangile de ce matin des réponses immédiates et pratiques à ces questions que nous nous posons, et qui, à travers nous catholiques, se posent à l’ensemble de notre société française.
De fait, c’est bien de fidélité au Christ qu’il s’agit. Et c’est bien de tenir nos lampes allumées que cet évangile nous parle dans la nuit de ce monde, nuit plus épaisse à cause d’une pandémie mondiale, nuit encore plus épaisse à cause des attentats terroristes, y compris dans des églises. Demandons à Dieu, Frères et Sœurs, de nous éclairer par cet évangile sur ce que nous avons à faire, et sur la manière de le faire.
Mais, au lieu d’attendre un mot d’ordre, une consigne, une marche à suivre, comme dans un parti ou un mouvement politique, nous avons à faire un détour par le fond des choses. Nous avons à nous placer d’abord sur le terrain où l’évangile veut nous conduire, et qui n’est pas immédiatement le terrain de l’actualité, même brûlante et inquiétante. Nous devons d’abord prendre du recul par rapport à ce qui nous agite présentement. Et nous devons d’abord écouter ce que l’évangile de ce matin nous dit sur la sagesse qui traverse la nuit, et sur ce qu’est la folie et la manière dont on installe cette folie dans nos propres vies, avec ou sans virus, avec ou sans attentats.
Il est toujours étonnant de voir combien le livre de la sagesse que nous avons entendu en première lecture est capable d’entrer dans les tours et les détours qui conduisent à l’impiété, à l’abandon de Dieu et à l’indifférence qui font le lit de l’apostasie lorsque les crises arrivent. C’est que Dieu sonde les reins et les cœurs, comme le dit l’Ecriture Sainte (Jr 11,20), et il nous instruit sur les lents processus de nos infidélités, pour que nous prenions conscience de nos faiblesses et de nos trahisons, et pour qu’en en prenant conscience nous nous convertissions et revenions à lui de tout notre cœur, afin que nous nous enracinions plus fermement dans son amour, et que nous résistions mieux aux épreuves et aux multiples souffrances.
Comment donc parle-t-elle cette folie de tous les jours dont se repaissent les vierges folles ? Elle dit ceci, Frères et Sœurs.
Puisque Dieu est miséricordieux, il nous sauvera tous, et donc notre prière ne sert pas à grand-chose. Il est même inutile qu’on prie pour nous et nos défunts, et que l’Eglise prie pour le salut du monde. La seule bonté de Dieu suffit pour que nous allions au paradis. Le pardon infini de Notre Père nous assure d’avance la béatitude éternelle quoi que nous fassions.
Nous n’avons pas besoin de nous convertir vraiment. Restons tels que nous sommes puisque, dans son Amour éternel, Dieu nous sauvera de toutes nos fautes. Avec le temps, les plus grands criminels seront absouts de leurs horreurs. Et Dieu, lui aussi, les oubliera. Et finalement, le Tout-puissant noiera toutes les abominations dans le déluge de sa pitié. Nous n’avons donc pas trop à nous en faire. Et tous les passages de l’Evangile qui parlent de « porte étroite », de « feu éternel préparé pour Satan et pour ses anges », de Fils de l’Homme qui « ne saura pas d’où sont les siens », ou de vierges folles qui resteront à la porte parce que l’époux « ne les reconnaîtra pas » etc., tous ces passages sont des passages qu’il faut interpréter dûment pour ne pas heurter nos sensibilités, pour ne pas ébranler notre conviction qu’au final, quoi qu’il arrive, tout ira bien pour nous. Et si l’on nous explique, malgré tout, que nous sommes des êtres libres, que nous sommes responsables de nos intentions profondes, et que notre salut n’est pas automatique, et que notre vie après la mort dépend de notre vie avant la mort parce qu’elle dépend de notre cœur, nous répondrons que, justement, c’est notre cœur que nous suivons, nos sentiments, nos appétits, nos attirances, nos ambitions, et que Dieu, dans tout cela, fera lui-même le tri, puisqu’en nous créant libres il nous permet de mener notre vie comme nous l’entendons, y compris sans lui, ou, ce qui revient au même, sans qu’il ait son mot à dire ni sur notre présent, ni sur notre avenir en ce monde.
Voilà, Frères et Sœurs, ce qu’est une vierge folle ou insouciante. Voilà comment raisonnent les esprits légers de la parabole d’aujourd’hui qui ont évacué de leur culture chrétienne, ou de ce qu’il en reste, tout désir de Dieu, toute relation mystique avec le Christ, toute invocation directe à l’Esprit-Saint.
Les dix vierges de la parabole ont chacune une lampe à huile pour aller rencontrer l’époux qui vient pendant la nuit.
La lampe, c’est le baptême qui nous consacre entièrement à Dieu. C’est pour cela que les dix jeunes filles sont vierges, parce qu’elles représentent toute l’humanité chrétienne baptisée qui est entièrement consacrée au Christ comme une épouse à son époux. L’huile, c’est le désir de Dieu, c’est la foi vivante qui attache à Jésus, c’est la prière personnelle qui rend familier du ciel alors qu’on est encore sur la terre. L’huile, c’est la joie et non pas le fardeau d’être croyant, c’est la joie qui fait que la vie chrétienne est une lumière, et que les sacrements sont des trésors dont le plus précieux de tous est l’Eucharistie, parce qu’elle est Jésus lui-même. Le sommeil dans la nuit, c’est la mort physique. Mais ce sommeil, ce sont aussi, dans la nuit de ce monde, les coups et les traces de la mort qui nous atteignent et qui nous blessent, et qui mettent à l’épreuve notre désir de Dieu, notre foi et notre prière, et qui les assoupissent. Le sommeil dans la nuit, ce sont les confinements à répétition qui mettent à l’épreuve nos réserves de vie chrétienne et nos capacités de résistance ou de rebondissement qui permettent d’entretenir la flamme de l’Esprit-Saint, et l’ardeur de la charité.
Les vierges folles n’ont pas ces réserves. Elles ont trop peu d’huile parce qu’elles sont légères, et parce qu’elles ne désirent pas vraiment Dieu, ni qu’il vienne dans leur vie. Elles en sont là peut-être parce que la souffrance les a aigries ou les a révoltées contre Dieu, ou peut-être aussi parce que l’abondance les a installées dans un athéisme tranquille. Elles sont spirituellement mortes. Et cette mort spirituelle ne sera pas changée par la mort physique. Elle sera changée par la conversion, en ce monde, par le retour à Dieu d’un cœur sincère et vrai. Le sommeil de la parabole, c’est le sommeil de la mort physique au dernier jour, mais c’est aussi le sommeil de la mort spirituelle tous les jours de la vie.
Et la porte que l’époux n’ouvre pas, au-delà de la mort physique, en disant « je ne vous connais pas », c’est la porte que le même époux n’ouvre déjà pas bien avant cette mort, pendant la vie en ce monde, parce que cet époux qui est le Christ n’épouse pas, et ne peut pas épouser, un cœur qui ne l’attend pas, qui ne le désire pas, et qui ne l’aime pas. Mais que ce cœur soit un instant réceptif à la grâce, qu’il reçoive un instant la parole d’évangile, et qu’il accueille un jour la mission de l’Eglise, alors aussitôt la porte s’ouvre et la vie change, non seulement la vie en ce monde, la vie de tous les jours, mais aussi la vie éternelle, au ciel et dans la gloire.
Frères et Sœurs, cette parabole nous dit simplement que notre bonheur éternel est entre nos mains, ici et maintenant, aujourd’hui, et que nous nous trompons dramatiquement si nous pensons qu’il se joue après notre mort. Dieu frappe inlassablement à la porte de notre cœur, et il n’ouvrira cette porte que si nous la lui ouvrons. Il ne nous sauvera pas malgré nous. C’est tout.
Et les vierges sages alors ? Les vierges sages sont-elles donc si peu chrétiennes qu’elles ont perdu le sens de la charité, puisqu’elles refusent de partager leur huile ? Non, frères et sœurs. Elles ne sont pas égoïstes. Elles montrent simplement une chose : c’est qu’on ne peut pas donner à d’autres son désir de Dieu. On ne peut pas donner à d’autres sa foi et sa prière. On peut en témoigner, bien sûr. On peut essayer d’en parler, d’en communiquer quelque chose. Oui. Mais cette vie spirituelle n’appartient pas aux croyants, même s’ils la cultivent dans leur cœur. Elle appartient à Dieu qui suscite le désir, la foi et la prière, et qui attend de nous que nous lui répondions, librement et fidèlement.
Nous ne pouvons pas faire que nos proches et les membres de nos familles deviennent croyants simplement parce que nous le sommes, ni que nos enfants ou petits-enfants aient le désir de Dieu et le goût de la prière, simplement parce que nous avons l’un et l’autre. Mais nous pouvons leur dire ce que nous vivons, leur donner notre témoignage, et intercéder pour que la douceur de Dieu les convainque se s’ouvrir à sa grâce. Et chaque fois que nous serons exaucés, et que nous en verrons les signes, eh bien Dieu ne viendra pas seulement dans leurs vies à eux, mais il viendra aussi dans notre vie. Et grande sera notre joie de voir l’huile de la vie croyante éclairer le chemin de celles et ceux que nous aimons.
Ne soyons pas assez fous, frères et sœurs, pour penser que Dieu ne vient qu’à notre mort, à notre dernier jour, et que le Christ nous demande de veiller en permanence parce que nous pouvons périr à tout moment d’un virus ou d’un attentat.
Ayons plutôt la sagesse de comprendre qu’il vient dans notre vie, dans nos rencontres et dans nos solitudes, pour que nous nous tournions vers lui et que nous l’attendions, comme on attend la délivrance de tout mal, et la communion des cœurs dans le même amour et dans la même joie. Célébrons-le, ce matin, là où nous sommes et là où nous en sommes. Nous savons qu’il nous aime infiniment. Alors, gardons allumée la lampe de notre amour, afin qu’au bout de toute chose nous puissions le rencontrer au banquet de l’Eucharistie, en étant remplis de lumière pour nous et pour tous ceux qui nous entourent. Amen.
Père Patrick Faure
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