Les pailles et les poutres

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Homélie prononcée le 27 février 2022

Frères et Sœurs,

Mercredi prochain, nous allons commencer le Carême qui va nous conduire à Pâques, c’est-à-dire à la mort et à la résurrection du Christ. Et, dans la nuit de Pâques, nous renouvellerons notre baptême. Ce renouvellement est important pour que nous prenions conscience de la lumière que nous apporte notre baptême, et pour que cette lumière change quelque chose à notre vie. Car, si la lumière de notre baptême ne change rien à notre vie, nous ne serons pas des chrétiens éclairés ni éclairants. Si la règle suprême de notre vie, c’est notre bien-être en ce monde, sans regarder plus loin, nous n’apporterons à personne l’espérance de la vie éternelle ni la bonne nouvelle d’aimer au ciel et pour l’éternité celles et ceux que nous aurons aimés sur la terre : « vous êtes la lumière du monde », nous dit le Christ (Mt 5,13).

Cette lumière n’est pas d’abord une question de morale, de rectitude de vie ou d’exemplarité pour la société. Non, cette lumière est une question d’esprit, de spiritualité, d’amour plus fort que la mort, et de foi en la puissance de Dieu qui nous révèle notre destinée infinie. Et tout cela est magnifique. Mais simplement, si l’on peut dire, cette splendeur spirituelle du baptême n’est pas non plus indépendante et complètement séparée de notre vie morale. Car, notre vie morale, c’est notre recherche du bien en ce monde, notre recherche de la justice et de la paix, de la valeur humaine et de la vérité, toutes choses qui sont bonnes, et qui nous portent, et qui nous orientent vers Dieu qui est le bien suprême, mais qui ne nous donnent pas Dieu, qui ne nous le font pas rencontrer personnellement, le connaître, l’aimer, lui parler, le prier. Tout cela, c’est le domaine de la foi, pas de la morale.

Mais reste, néanmoins, qu’avec l’évangile de ce matin nous devons comprendre que l’aveuglement sur nous-mêmes, l’hypocrisie, la pourriture intérieure et le cœur mauvais qui nous détournent du bien terrestre et d’une vie droite, nous détournent aussi du bien céleste et suprême qu’est Dieu, même si Dieu, lui, dans sa miséricorde inlassable, vient toujours par son esprit, par ses prophètes et par ses saints, frapper à la porte de notre cœur et de notre conscience, pour nous appeler à nous convertir, à devenir meilleurs et à mener des existences un peu plus pures qui laissent passer mieux sa lumière et sa joie qui ne sont pas de ce monde.

Nous avons dans nos jugements et dans nos manières d’être ou de penser des poutres qui nous aveuglent et qui nous obscurcissent, des poutres qui nous empêchent de voir et de rayonner la lumière de l’Esprit-Saint. Et ces poutres ne sont pas innocentes, puisque le Seigneur Jésus les associe à de l’hypocrisie. Ces poutres, ce sont ces attachements persistants à tel mal, tel défaut ou tel vice que nous entretenons délibérément, dans un déni de réalité presque inconscient, et que nous minimisons constamment parce que nous ne voulons ni voir leur gravité ni nous en défaire, tellement elles sont devenues comme une seconde nature.

Bien sûr, il y a les addictions en tout genre qui ont tôt ou tard un impact sur notre santé physique et psychique, et qui réduisent notre univers social. Et il y a aussi, plus subtilement, les idées toutes faites et les a priori dans lesquels nous pouvons nous enfermer seuls contre tous, et qui nous empêchent d’écouter nos proches et d’équilibrer nos jugements.

Mais, dans tous les cas, ces dépendances et ces mentalités peuvent cesser d’être des poutres qui nous aveuglent, dès l’instant que nous demandons à Dieu de nous en faire prendre conscience et de nous en délivrer : « Délivre-nous du mal », c’est la dernière demande du Notre Père.

Et l’évangile ne dit pas que notre lucidité sur nos propres défauts doit nous rendre muets sur les défauts des autres. Ce qu’il nous demande, c’est de ne pas être hypocrites, c’est-à-dire de reconnaître que, nous les premiers, nous avons bien des travers mais que nous acceptons la correction des autres et les remises en cause, et que, ce faisant, nous travaillons sur nous-mêmes et au progrès de tous, mais qu’il y a aussi, chez nos frères et sœurs, des pailles que nous devons enlever, ou même des poutres que nous devons retirer, non pas nous-mêmes tous seuls, mais ensemble, dans une collaboration humble, patiente et vraie. Si nous voulons des communautés qui soient en bonne santé, il faut en retirer les épines une par une, avec des mains aussi délicates que fermes. On ne vendange pas du raisin sur des ronces.

Et ce qui vaut des personnes individuelles et des cercles restreints vaut aussi de toute l’Église et de la société.

Vous connaissez la situation actuelle, Frères et Sœurs. Des responsables de communautés, hommes ou femmes, parfois haut placés, ont appelé à la conversion, au changement de vie et au redressement des frères et des sœurs qui n’étaient pas de grands pécheurs – cela, c’est pour la paille -, alors qu’eux-mêmes ou elles-mêmes, ces responsables, entretenaient l’omerta et la loi du silence pour couvrir des abus criminels, parce qu’ils vivaient dans une culture de l’entre-soi et de la dissimulation, plus préoccupée d’étouffer les scandales que de sauver les victimes et d’éradiquer les crimes.

Mais, désormais, l’église catholique est en train d’ouvrir les yeux sur cette lourde poutre intérieure. Et, non sans douleurs, elle se laisse aider pour enlever de sa gestion du pouvoir et de l’autorité sur les fidèles cette culture du secret qui peut servir à couvrir des actes entièrement contraires à l’Évangile. En faisant comme elle le fait en ce moment, ses appels constants à la recherche de la justice et de la vérité n’en ressortiront que plus crédibles et plus recevables non seulement, comme toujours, auprès des grands pécheurs qui en ont le plus besoin, mais aussi, et comme à nouveaux frais, auprès des hommes et des femmes de notre temps qui, sans pécher lourdement, cherchent à se rapprocher de Dieu et à progresser dans une vraie vie spirituelle.

Et ce qui vaut des personnes individuelles et de l’Église entière, vaut aussi de notre civilisation aveuglée par le mythe adolescent de la jouissance effrénée qui l’entretient dans une relation toxique et parasitaire avec notre biosphère. Cette poutre-là sera retirée, au prix d’effondrements douloureux et de transformations radicales, par celles et ceux qui se seront libérés du matérialisme immature et des cultures malsaines, et qui rendront leur place à l’esprit et au sacré pour prendre soin du vivant et de l’humanité.

Alors, que le souffle de Dieu vienne sur nos contemporains, et qu’il leur fasse porter de bons fruits qui rendront, malgré tout, notre avenir savoureux. C’est là notre confiance en l’amour infini de notre Dieu pour notre monde. Amen.

Père Patrick Faure

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