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Homélie prononcée le 22 novembre 2020
Frères et Sœurs,
Nous célébrons ce matin le Christ Roi de l’univers, c’est-à-dire le Christ présent et régnant partout dans l’univers, et pas seulement sur notre petite planète. Nous célébrons le Christ Roi présent et régnant dans l’univers surtout là où il y a la vie, parce qu’il le dit lui-même à sainte Marthe : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11,25). Tout ce qui a forme de vie est habité par la présence du Christ parce que « rien de ce qui existe ne s’est fait sans lui », nous dit saint Jean (Jn 1,3). Et, de son côté, saint Paul écrit : « tout a été créé par lui et pour lui, et tout subsiste en lui » (Col 1,16-17). Tout cela est énorme, et nous n’avons pas l’habitude, Frères et Sœurs, d’entendre parler du Christ avec autant d’ampleur et d’immensité, pris que nous sommes dans nos problèmes quotidiens, nos débats politiques et notre actualité internationale. Bien sûr, certains peuvent connaître des grands penseurs chrétiens comme Theilhard de Chardin qui, dans la ligne de saint Paul et de saint Jean, voit le Christ Jésus dans sa majesté universelle et infinie qui correspond bien à ce que nous fêtons ce matin. Mais, la plupart du temps, notre regard ne va pas si haut, et notre cœur non plus. Et si ce n’était ce Christ immense qui venait à nous pour se faire l’un de nous, nous ne pourrions pas, de nous-mêmes, nous élever jusqu’à lui, quelles que soient nos manières de nous fabriquer des dieux et des religions à partir de nos désirs et de nos souffrances.
Et comment le Christ vient-il jusqu’à nous ? Il vient jusqu’à nous par l’Esprit-Saint qui est l’amour infini, l’amour éternel, qui ressuscite les morts et qui crée le monde. Et c’est ce même Esprit-Saint qui guide et qui éclaire les hommes et les femmes de bonne volonté dans l’évangile que nous venons d’entendre, ces hommes et ces femmes qui se mettent au service de leurs frères et qui, même sans le savoir, vivent dans le royaume spirituel du Christ qui est le royaume de l’amour universel. Et l’univers sera jugé sur la réponse qu’il aura donné à cet amour qui crée, qui oriente et qui conduit vers la transfiguration de toute chose dans le Christ, notre chef et notre roi. Vous le savez, Frères et Sœurs, on attribue à saint Jean de la Croix cette formule magnifique et bouleversante : « au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour » (Dichos 64). Cette vérité ne vaut pas seulement pour les croyants. Elle s’applique à tous les hommes, et même à tout l’univers, à tout ce qui a souffle de vie et qui, d’une manière ou d’une autre, est appelé à consentir à l’amour créateur et sauveur pour entrer un jour dans la gloire du Christ.
Avec cet évangile, ce matin, nous entendons de nouveau la parabole dite du « jugement dernier ». Nous y voyons comparaître devant le Christ Roi et Juge des hommes de tous les temps et de tous les horizons qui n’ont pas su que ce Roi, ce Juge, était là, présent, dans les humains les plus pauvres et les plus démunis, et qu’il attendait leur amour par des gestes élémentaires de premier secours ou par des actes de présence auprès des malades et des prisonniers.
L’amour qu’ils ont eu dans le cœur et qui les sauve au dernier jour, c’est cet amour inspiré par l’Esprit qui souffle où il veut. C’est cet amour qui va partout, qui ne s’arrête pas aux apparences et aux appartenances, mais qui s’attache à la dignité des personnes même les plus défigurées ou les plus repoussantes. L’amour qui sauve au dernier jour, c’est l’amour spirituel et universel, c’est-à-dire l’amour qui élargit le cœur dans toutes ses dimensions, pas seulement la dimension horizontale du monde et de l’humanité dans leur grandeur dramatique, mais aussi la dimension verticale qui regarde le ciel, au-delà de toutes les capacités humaines.
Quand on est dans cet amour-là, Frères et Sœurs, on peut ne pas connaître Dieu par la foi, on peut ne pas avoir la lumière de la révélation qui dit que « Dieu est amour » (1Jn 4,8), que l’univers est créé par amour, et sauvé du néant par ce même amour plus fort que la mort. On peut ne pas savoir tout cela. Mais, quand on est dans cet amour spirituel et universel, ouvert sur le monde et sur le ciel, on connaît Dieu implicitement et intuitivement dans un clair-obscur qui écoute ce que disent les croyants, et qui se laisse instruire par ce qu’il y a de vrai dans le monde. Quand on est dans cet amour-là, on ne peut pas dire dans son cœur « Dieu n’existe pas », ou, ce qui revient au même, « la question ne m’intéresse pas ». On ne peut pas faire comme si le bien qu’on accomplit était indifférent à la question de Dieu, car, comme le dit Dostoïevski, « si Dieu n’existe pas, tout est permis » (cf. Les Frères Karamazov, IV,11,4), à commencer par appeler « bien » ce qui est mal, et « mal » ce qui est bien.
Les justes que le Christ Roi bénit sont les humbles de cœur qui ont accepté de servir les hommes au nom d’un amour qui est plus grand que les hommes. Et quand le Christ leur révèle que c’est à lui qu’ils ont fait du bien sans le savoir, ils sont étonnés, bien sûr. Mais ils ne contestent pas, ils ne discutent pas. La révélation du Christ présent dans les plus pauvres ne leur pose pas de problème parce qu’au moment où ils ont secouru les pauvres, ils n’ont pas voulu laisser Dieu de côté par principe ou par idéologie. S’ils l’avaient voulu, ils réagiraient bien autrement lors du jugement dernier.
Comprenons que si nous choisissons de faire le bien en évitant délibérément la question de Dieu, alors notre jugement dernier ne sera pas vraiment une heureuse surprise, et, en attendant, nous ne donnerons autour de nous qu’une solidarité à hauteur d’homme qui sera sans espérance au-delà de la mort. Si nous pensons que l’assistance aux plus indigents est d’autant plus juste qu’elle est moins religieuse, et concrètement moins chrétienne, alors nous ne pourrons rien dire devant les grandes catastrophes que sont la maladie grave et la mort imprévue, non seulement des adultes mais aussi, et surtout, des enfants et des plus jeunes.
Quant à ceux qui sont condamnés à l’enfer, vous avez remarqué, Frères et Sœurs, qu’ils ne sont pas accusés de violence, de crimes ou de haine, comme on pourrait s’y attendre. Non. Ils sont simplement accusés d’indifférence et de manque d’amour, comme si l’indifférence et le manque d’amour étaient la racine et la cause de la violence, du crime et de la haine. C’est donc bien le signe que la question de l’amour est au cœur de toutes les autres questions. Et de la même manière que les bénis de Dieu, ceux qui sont réprouvés ne contestent pas, ne discutent pas, ne protestent pas. Et pour quelle raison ? Parce que, Frères et Sœurs, le jugement du Christ est le jugement de la vérité, c’est-à-dire le jugement qui met en pleine lumière la vérité des cœurs.
Être jugés par le Christ sur l’amour, c’est être mis en face de la vérité de notre amour, en pleine conscience et en pleine lumière. Cela est terrible, car, alors, c’est nous-mêmes qui sommes nos propres juges. Et si le Christ est présenté comme un roi qui envoie certains sujets au feu éternel, nous devons comprendre qu’il ne fait que reconnaître et entériner une disposition de cœur que ces mauvais sujets ont voulu entretenir, et qu’ils continuent à vouloir entretenir. Car, comprenons bien, Frères et Sœurs, que le jugement dernier ne changera pas nos cœurs. Ce sont nos cœurs qui changeront le jugement dernier.
Et ce jugement dernier, il commence tous les jours, et il dure jusqu’au dernier jour. Il n’est pas seulement dernier parce qu’il est au bout du temps. Il est aussi dernier parce qu’il inscrit notre éternité dans le temps, parce que c’est tous les jours, à chaque instant que nos actes forgent notre éternité, que nos actes d’amour se chargent d’éternité. Frères et Sœurs, le jugement dernier commence aujourd’hui, et nous en sommes responsables.
Demandons au Christ notre roi qu’il continue toujours d’envoyer son Esprit-Saint dans les têtes et les cœurs de nos contemporains face à l’humanité souffrante. Nous savons que la seule lumière qui soutient jusqu’au bout la dignité humaine, c’est la lumière de l’espérance chrétienne en la vie éternelle pour tous, dans l’amour de Dieu. Mais beaucoup d’hommes et de femmes ne le savent pas, soit parce qu’ils ne connaissent pas le Christ, soit parce qu’ils en ont une image déformée. Demandons à l’Esprit-Saint de souffler sans cesse au cœur du monde pour l’attirer vers son sauveur.
La fête institutionnelle du Christ Roi est assez récente puisqu’elle a été instaurée en 1925 par le pape Pie XI face à l’athéisme militant du marxisme et du communisme en Europe de l’Est. Aujourd’hui, l’athéisme est alimenté, d’un côté, par l’extrémisme religieux et, d’un autre côté, par le rêve de toute-puissance humaine lié au progrès de la technologie. La désaffection à l’égard de la tradition chrétienne est aussi entretenue par les réseaux relationnels refermés sur des centres d’intérêts purement matériels et mondains, à quoi s’ajoutent encore d’autres facteurs qui aggravent ce que Jean-Paul II appelait « l’apostasie silencieuse » en occident, et surtout en Europe.
Mais cette croix des temps modernes n’arrêtera pas le Christ. Par sa résurrection il est le seul roi qui domine la mort, et par son Esprit-Saint il donne la vie à chacun de ses sujets. Il règne dans l’humanité, là où les efforts de justice et de solidarité s’ouvrent à la joie de croire en Dieu et d’espérer l’éternité. Il règne dans le cœur de ses disciples, là où son Esprit-Saint fait annoncer la résurrection qui est bien au-delà de nos facultés humaines. Il règne en son Eglise, et les portes de l’Enfer et des scandales ne prévaudront pas contre elle. Il relève les sociétés en déclin par les saints et les saintes qui les évangélisent à nouveaux frais. Il étend son royaume d’amour et de liberté sur l’univers et toutes les civilisations parce qu’il est le Prince de la vie et le but ultime de toute la création.
Que nos voix, nos cœurs et nos prières s’unissent maintenant dans un même élan de reconnaissance mais aussi d’intercession pour notre monde auquel il nous envoie pour lui porter la paix, l’espérance et la vie. Amen.
Père Patrick Faure
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