Au puits de Samarie

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Homélie prononcée le 9 mars 2021

Frères et Sœurs,

Voilà cette histoire magnifique de la Samaritaine que nous entendons encore cette année grâce aux catéchumènes qui seront baptisés à Pâques. Voilà ce récit de saint Jean qui, comme souvent chez cet évangéliste, est tout simple dans ses mots, mais tout rempli et chargé de double sens, de mystère, de profondeur, et, ici, en plus, de tendresse et de délicatesse. Une vraie leçon de vie qui est un chemin de lumière et de révélation.

De quoi s’agit-il ? D’une femme qui a soif, comme Israël au désert dans la première lecture. Elle a soif d’eau, bien sûr, mais pas seulement d’eau, car sa vie a été tourmentée. Elle a eu cinq maris, et elle vit encore avec un autre homme. Et pourtant, comme le voit bien le pape Benoît XVI, dans son existence dont on ne sait pas si elle est simplement superficielle ou si elle est terriblement éprouvée par différents malheurs, cette femme garde au fond de son cœur la question de Dieu que Jésus fait remonter en surface comme l’eau qu’on tire du puits. Où est Dieu ? Où peut-on le trouver ? Sur quelle montagne ? Dans la lumière éblouissante de midi au Proche-Orient, sous les ombrages qui doivent entourer ce puits, Jésus, fatigué par la marche et assoiffé lui aussi, fait sourdre au cœur profond de cette femme la soif et le désir de Dieu qui est une soif d’amour et un désir de vivre.

Certains pourraient estimer que cette femme de Samarie est une bonne représentante de notre vie moderne, avec ses revendications de liberté conjugale et les problèmes qui vont avec. Mais il faudrait voir alors que cette samaritaine ne jouit pas d’une véritable liberté. Car elle se cache, en venant au puits à midi, en pleine chaleur, au moment où elle est sûre de ne pas rencontrer les autres femmes, et de ne pas être montrée du doigt ou critiquée. Elle se tient à l’écart, dans une relative solitude, et, au fond, elle espère une relation qui comblera ses attentes et qui lui donnera une pleine disposition d’elle-même pour vivre et pour aimer.

Or, c’est ce qui va se passer dans son dialogue avec Jésus. Elle va laisser sa cruche sans même penser à boire. Et Jésus non plus ne boira pas, comme si l’un et l’autre avaient été abreuvés par leur échange si simple et si profond. C’est que, au-delà de ses épreuves matrimoniales, cette femme samaritaine est une figure des êtres assoiffés que nous sommes. Bien sûr, comme Israël au désert, elle exige que Dieu réponde à ses besoins. Comme les hébreux assoiffés pendant l’Exode qui se laissaient aller au culte du veau d’or, elle a cette religiosité fragile des samaritains qui mélangent le Dieu d’Israël avec plusieurs idoles, et sa foi se laisse contaminer par des croyances magiques et des superstitions. Et nous-mêmes, il nous est si facile de nous faire une idée de Dieu et de l’homme qui corresponde à nos attentes et satisfasse nos volontés.

Mais le Psaume nous le dit à nous comme à elle, et à elle comme à nous : « N’endurcissez pas votre cœur comme au désert, alors que vous avez encore en mémoire tel ou tel bienfait de Dieu dans votre histoire. » Convertissez-vous. Revenez à une véritable confiance en Dieu, à un véritable « lâcher prise » qui s’abandonne à sa grâce, et vous découvrirez que votre vie est plus que ce que vous voyez, sentez, touchez, pensez. Et c’est toute la pédagogie de Jésus, dans saint Jean, qui se met alors en marche, avec cette eau du puits qui devient plus que de l’eau potable, en devenant la figure et l’annonce d’une autre eau, celle de l’Esprit-Saint. C’est cette soif d’eau liquide qui devient plus qu’une simple soif, en devenant le symbole de la soif de Dieu.

C’est cette vie très physique et très matérielle qui devient plus que la vie terrestre, en se révélant habitée de l’intérieur par une autre vie encore invisible mais qui est accordée à l’annonce de l’éternité. Jésus demande à cette femme de Samarie de lui donner à boire l’eau de ce monde. Et, après quelques mots de dialogue, c’est elle qui lui demande l’eau de la vie éternelle.

Pourquoi donc cette femme entre-t-elle si facilement dans ce langage du Christ ? Pourquoi reprend-elle si spontanément ses paroles ? Elle fait ainsi, Frères et Sœurs, parce que le Christ éveille en elle sa soif d’infini. En chaque être humain il y a une soif d’infini qui ne peut être étanchée que par l’Esprit de Dieu. Et que faut-il à l’être humain pour qu’il s’abreuve à cette fontaine de vie qu’est l’Esprit-Saint de Dieu ? Il lui faut la foi, c’est-à-dire l’adhésion personnelle à celui qui donne cet Esprit-Saint. Il lui faut croire en Jésus le Messie, le Christ, venu parmi les juifs pour Israël, pour les samaritains, pour tous les hommes et pour toutes les femmes.

Et comment Jésus va-t-il susciter la foi en lui au cœur de la Samaritaine ? Il va la conduire avec douceur sur un chemin de vérité, de révélation et même de confidence. De vérité parce qu’elle va faire la vérité sur elle-même – « je n’ai pas de mari » - et que Jésus va reconnaître qu’elle se dit sans détours et sans omissions. Chemin de révélation parce qu’elle va voir en Jésus un prophète qui répond aux questions sur Dieu. Et chemin de confidence, parce que Jésus va lui dire à elle seule, cette femme marginalisée d’un peuple marginalisé, il va lui dire en aparté, sans interdit et sans secret, ce qu’il ne dira qu’à sa mort devant ses juges à Jérusalem : « je suis le Messie, moi qui te parle ». Il est tellement plein de cet amour de Dieu pour le monde qu’il n’est pas là pour la condamner mais pour la sauver. Alors elle, tout inondée par cet amour, elle se met à croire en lui le prophète, le Christ, et elle part l’annoncer aux gens de sa ville, sans plus aucune peur d’être jugée par eux. C’est ce chemin d’amour, d’écoute et de dialogue où Jésus la conduit qui devient son chemin de foi, pour croire en lui et pour goûter déjà l’eau vive de l’Esprit.

Cet itinéraire spirituel est exemplaire pour les catéchumènes qui s’approchent du baptême à Pâques. Mais, Frères et Sœurs, ce dynamisme de la foi qui se forme au contact du Christ en étant porté par l’amour, c’est aussi l’itinéraire de toute vie chrétienne baptisée. Nous qui sommes de longue date plongés dans le Christ, sa mort et sa résurrection, habités par son Esprit et nourris par son corps et son sang dans son Eucharistie, nous sommes toujours « en chemin », puisque Jésus le dit lui-même : « je suis le chemin » (Jn 14,6). Notre vie chrétienne n’est pas un état figé. Notre vie chrétienne est une vie toujours en mouvement, une vraie vie, LA vraie vie, invisible mais éternelle et déjà dans nos cœurs, et qui ne demande qu’à transformer tout notre être à la mesure de notre désir de Dieu.

Demandons à notre Père du ciel que, par la Samaritaine, il réveille en nous la soif de l’infini, la soif de plénitude humaine et de communion dans le véritable amour. C’est sur ce chemin d’avenir que nous grandirons en vérité sur nous-mêmes et sur le monde, comme la Samaritaine, et donc aussi en liberté puisque – vous le savez – Jésus lui-même nous le dit dans saint Jean : « la vérité vous rendra libres » (Jn 8,32). Rendons grâce à Dieu pour les catéchumènes qu’il nous donne. Et, avec eux, soyons heureux de dire la joie qu’il nous procure et qu’il nous invite à communiquer autour de nous. Amen.

Père Patrick Faure

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