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Homélie prononcée le 25 octobre 2021
Frères et Sœurs,
L’aveugle de Jéricho a quelque chose à dire à l’homme d’aujourd’hui. Cet aveugle entend une foule en marche qui lui annonce que Jésus est au milieu d’elle. L’homme d’aujourd’hui entend l’Église en marche qui lui annonce que Jésus est au milieu d’elle. Mais de même que l’aveugle de Jéricho ne voit pas Jésus dans la foule, de même l’homme d’aujourd’hui ne voit pas Jésus dans l’Église.
Pourtant, l’aveugle de Jéricho sait que Jésus le Nazaréen est Fils de David, et donc héritier du plus grand roi d’Israël, et qu’à ce titre il est associé à une espérance de restauration à la fois individuelle et collective. Et l’homme d’aujourd’hui sait que l’Église est attachée au Christ, Jésus de Nazareth, et qu’elle est, elle aussi, associée à une espérance de salut qui vaut pour les personnes et pour les communautés. Mais de même que l’aveugle de Jéricho ne voit pas de quelle restauration le Christ est porteur tant qu’il ne l’a pas rencontré personnellement, de même l’homme d’aujourd’hui ne voit pas de quel salut l’Église est porteuse, tant qu’il n’a pas rencontré personnellement le Christ au milieu d’elle.
Et finalement, l’aveugle de Jéricho, dans sa cécité, représente aussi les apôtres, parce que les apôtres eux-mêmes sont aveugles sur Jésus. Ils ne voient pas, ils ne saisissent pas, ils ne comprennent pas ses paroles quand il prédit sa passion crucifiante, mais aussi sa résurrection, son relèvement. L’aveugle de Jéricho, tout comme les apôtres et les disciples, ne voit pas que Jésus est, au milieu d’eux, le Christ souffrant et glorieux qui porte et qui enlève le péché du monde, qui porte et qui transfigure par son amour les souffrances et les amertumes de l’humanité. De même, l’homme d’aujourd’hui ne saisit pas, ne comprend pas non plus les paroles de l’Église quand elle parle de sa propre passion et de son relèvement, quand elle est martyrisée dans les chrétiens persécutés pour leur foi, mais qu’en même temps elle devient source de nombreuses conversions, quand elle est crucifiée dans des êtres fragiles abusés par des adultes et qu’elle est déshonorée dans ses propres enfants, prêtres, évêques ou laïcs, hommes et femmes, qui commettent ou qui couvrent ces actes criminels, mais qu’en même temps elle creuse le mal à la racine pour l’éradiquer, pour en être purifiée afin d’être vraiment elle-même. Tout cela parce que le Christ est en elle, torturé mais vivant, agneau immolé mais toujours debout, ressuscité pour l’éternité.
Comme l’aveugle de Jéricho, l’homme d’aujourd’hui ne voit pas que Jésus est dans l’Église, et, à cause des apôtres qui trahissent comme Judas, ou à cause des apôtres qui renient comme Pierre, ou à cause des adversaires qui s’acharnent mais aussi à cause de ses propres convoitises à lui et de son orgueil, cet homme ne comprend pas que le Christ et l’Église ne font qu’un, comme le disait sainte Jeanne d’Arc.
Et pourtant, malgré tout, cet homme d’aujourd’hui peut avoir avec l’Église un contact suivi. C’est par exemple l’homme du patrimoine qui voit dans l’Église un héritage culturel, esthétique et identitaire. C’est aussi l’homme d’entreprise qui voit dans l’Église un réservoir d’idées, de valeurs et de repères, toutes choses infiniment précieuses dans une société en mal d’espérance et de projet commun. Mais tout en fréquentant l’Église, et pour toutes sortes de raisons, cet homme d’aujourd’hui n’y cherche pas le Christ, et il ne voit pas le Christ en croyant en lui et en lui parlant directement et simplement. Cet homme est comme l’aveugle de Jéricho. Il a des idées sur le Christ, comme on en a sur un fait de civilisation ou sur un fait social qu’on laïcise et qu’on rationalise.
Et le résultat, c’est que l’homme d’aujourd’hui se retrouve assez souvent assis au bord du chemin à faire la mendicité auprès des foules qui passent, pour tirer d’elles un élan et une autorité qu’elles n’ont pas sur la vie, sur la mort et sur la souffrance. Et cet homme devenu de nos jours si riche et si équipé, parfois si cultivé, ne voit pas le Christ.
Car pour voir le Christ, Frères et Sœurs, pour se laisser guérir par Lui et pour ouvrir les yeux, il faut le chercher là où il est, c’est-à-dire dans l’Église. Mais il faut aller à sa rencontre en se reconnaissant aveugle, et il faut lui crier : « Fils de David aie pitié de moi ! » Cette parole ne s’adresse pas à une idée. Elle ne s’adresse pas à une force indifférente, à une illusion construite pour surmonter les craintes religieuses de l’humanité, comme le pensaient Sigmund Freud et les philosophes du XIXe et du XXe siècle. Non. Cette parole s’adresse à une personne qui vient d’Israël, et qui est vivante au cœur de l’Église. Ce cri s’adresse au « roi des Juifs » devenu Roi des rois, au Seigneur des seigneurs dont la présence et la voix ont traversé les siècles, et dont le corps mystique – l’Église – a les promesses de la vie éternelle.
Ce matin, l’aveugle de Jéricho invite l’homme d’aujourd’hui à découvrir qu’il a un Roi, quel que soit le régime politique sous lequel il vit. L’aveugle de Jéricho invite l’homme du patrimoine à marcher vers ce Roi en se reconnaissant aveugle. Il invite cet homme qui absolutise la culture à ne pas se croire trop éclairé parce qu’il viendrait après le siècle dit des lumières. Le mendiant de Jéricho invite cet homme d’aujourd’hui, amateur de religieux pour la beauté qu’il en tire, à reconnaître qu’un monde moderne mais sans authenticité spirituelle est un monde aveugle et désenchanté qui n’est pas moins violent que le Moyen âge, même s’il pense avoir vaincu l’obscurantisme en parquant la foi sous l’autorité de la raison, et en la reléguant dans la seule sphère privée. Et cet aveugle de Jéricho, il prend aussi par la main l’homme d’entreprise qui aujourd’hui, au contact de l’Église, ne cherche pas le Christ mais seulement des idées, ou des valeurs et des repères. Et il invite cet homme – et avec lui tous les autres hommes – à faire le dernier pas qui manque, le pas le plus décisif, celui de la foi vivante, personnelle et active.
Frères et Sœurs, saint Augustin comprend que Bartimée de Jéricho n’est pas né aveugle, mais qu’un jour il a perdu la vue, et avec la vue toutes ses richesses au point de mendier le long des routes. Et, dans cette ligne, en suivant le pape Benoît XVI, on peut comprendre que Bartimée représente aujourd’hui les chrétiens de vieille chrétienté qui ont perdu la vue et la lumière de la foi, qui se sont éloignés de Dieu et ne lui accordent plus aucune importance, tous ces chrétiens qui tout bonnement ignorent les richesses de leur héritage, et qui, en conséquence, mendient des spiritualités à droite et à gauche au bord des chemins, auprès des foules et des courants mondialisés, pour redonner du sens à leur vie et des orientations à leur existence.
Ces chrétiens nombreux, ces pays anciens, ont besoin d’une nouvelle évangélisation, d’une nouvelle rencontre personnelle et directe avec Jésus le Christ, Fils de David et Fils de Dieu, qui les guérisse et qui les remette en marche dans la joie de croire en Dieu et en leur avenir éternel, et dans la volonté de s’aimer fraternellement à cause de lui.
Et pour paraphraser le psaume que nous avons entendu, à nous qui gardons le témoignage d’une pratique humble et sobre de notre foi, l’Écriture Sainte nous dit ce matin que ce que nous aurons semé dans les larmes au milieu des épreuves actuelles, mais en persévérant dans la fidélité, nous le moissonnerons dans la joie, dans la joie de voir les chrétiens exilés redécouvrir un jour les merveilles de Dieu, et chanter sa louange au milieu de notre monde. Alors, que cette promesse et cette espérance nous soutiennent et nous donnent de porter à nos contemporains la bienheureuse lumière de l’Évangile. Amen.
Père Patrick Faure
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