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Homélie prononcée le 20 juin 2021
Frères et Sœurs,
quand Jésus dort pendant la tempête, et quand il se réveille pour la calmer, il annonce prophétiquement sa mort et sa résurrection. Car Jésus qui dort et qui se lève de son sommeil pour mettre fin à la tempête, c’est Jésus, le Christ, qui dort dans le tombeau et qui se relève du sommeil de la mort au matin de Pâques, pour mettre fin aux puissances du mal et de la destruction dont les flots assaillent l’humanité. Il est désormais victorieux des enfers. Et, pour nous, le salut, c’est d’avoir le Christ ressuscité avec nous dans la barque de l’Église, même si quelquefois cette barque prend l’eau. C’est lui le Christ qui est notre sauveur et notre Dieu, le Seigneur des vivants et des morts, au ciel, sur terre et aux enfers.
Et pourtant, Frères et Sœurs, et pourtant, nous le savons bien. « Quand l’heure fut venue de passer de ce monde à son Père », comme le dit saint Jean, quand cet évangile prophétique s’est accompli en vrai à Jérusalem, Jésus ne s’est pas endormi paisiblement dans la mort, comme dans la barque de ce matin sur la mer de Galilée.
Sur la Croix, vous le savez, il a poussé un grand cri. Et lors de son agonie à Gethsémani, au jardin des oliviers, il a saigné d’une sueur de sang. Dit autrement, il a eu peur, tout comme ses disciples ont eu peur sur le lac de Tibériade. Mais, contrairement à eux, il n’a pas dit à Dieu : « je suis perdu, ça ne te fait rien !? » Au contraire, il a dit à son Père : « non pas ma volonté mais la tienne. Entre tes mains je remets mon esprit ».
Et par cet amour indéfectible envers son Père, il n’a pas supprimé la peur, mais il a, en quelque sorte, exorcisé la peur. Parce qu’il est resté centré sur Dieu, attaché à Dieu au cœur de sa peur et du plus grand ébranlement psychologique, il a désarmé la peur, en déniant à la peur le pouvoir de nous séparer de Dieu, de nous couper de Dieu. Saint Paul le dit bien aux chrétiens de Rome : « Rien ne nous séparera de l’amour du Christ, ni la mort, ni la vie, ni le présent ni l’avenir » (Rm 8,38). Et cet amour de Jésus pour son Père quand il est à la croix, cet amour indéfectible qui ne se laisse pas désespérer ni vaincre par la mort, cet amour il a un nom : c’est l’Esprit-Saint, c’est l’Esprit de Dieu. C’est cette puissance de vie qui va ressusciter Jésus d’entre les morts, et qui va nous donner la paix du ciel, alors même que nous sommes sur la terre, alors même que nous sommes dans les tempêtes et dans la peur.
Car le Christ ne nous promet pas que nous n’aurons jamais de tempête et que nous n’aurons jamais peur. Il nous promet que nous traverserons toutes nos tempêtes et que nous viendrons à bout de toutes nos peurs. C’est pour cela qu’il nous envoie l’Esprit-Saint. C’est pour cela que le pape Jean-Paul II pouvait nous dire sur tous les tons : « n’ayez pas peur, avancez au large ! ».
Les tempêtes de la vie, nous les connaissons, Frères et Sœurs, soit qu’elles nous frappent de plein fouet, soit qu’elles nous frôlent et nous effraient. Elles ont pour nom l’échec sentimental, conjugal, familial, professionnel, sans compter la maladie, la mort des proches, surtout des enfants. Les tempêtes, ce sont les crises, les violences et les guerres qui donnent l’impression d’un tourbillon sans fin, d’une tourmente interminable.
D’où le besoin de se créer des oasis de tranquillité, mais des oasis où nous risquons de nous couper du monde. Nous cherchons spontanément des lieux de soutien et de sécurité, ce qui est bien naturel.
Mais, insensiblement, nous glissons vers un idéal de vie sans bourrasques et sans vagues où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté », comme le dirait Charles Beaudelaire. L’Évangile nous dit alors : « les païens en font autant ».
Être chrétien, ce n’est pas désirer la tranquillité, ce n’est pas rechercher le confort, qu’il soit matériel, affectif ou social. Être chrétien, c’est recevoir la paix du Christ, la paix que lui seul peut donner au cœur même des épreuves, la paix du ressuscité qui se reçoit d’en-haut, alors même que nous sommes accablés par les douleurs et les cruautés de la vie. La tranquillité suppose une absence de conflits, une harmonie générale et une bonne entente entre tous, autant dire la disparition de tout mal. Cette tranquillité n’est qu’illusion. Ce calme plat est aussi fragile que superficiel. Le Christ ressuscité, lui, nous donne la seule vraie paix qui tienne, la seule vraie paix qui soutienne tous les efforts de paix, ces efforts qui sont nécessairement aux prises avec les injustices, les mensonges et les coups de force.
Toutes ces épreuves que nous rencontrons tôt ou tard nous sortent de nous-mêmes, de nos zones de confort et de tranquillité. Elles nous obligent à réagir, et parfois même à nous battre. Dans tout cela, Frères et Sœurs, sommes-nous des hommes et des femmes de paix, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui maintiennent le dialogue alors qu’ils sont affrontés à leurs opposants, des hommes et des femmes qui cherchent à établir la vérité alors qu’ils sont confrontés à des abus, des hommes et des femmes qui s’arment de patience envers les êtres blessés ?
Être des artisans de paix qui reçoivent leur paix du Christ ressuscité, c’est avoir le Christ avec soi dans sa propre vie, dans sa propre barque, non parce qu’on l’a reçu par simple héritage, par simple culture chrétienne ou par conformisme social, mais parce qu’on l’a choisi, parce qu’on l’a voulu personnellement, et qu’on s’est attaché à lui, en croyant fermement qu’il est la Résurrection et la Vie (Jn 11,25). Tant que notre relation au Christ ne va pas jusque-là, elle ne nous apportera rien, rien qui résiste pacifiquement aux assauts de notre siècle, et, notamment, à la déconstruction ambiante.
Nous savons que la société où nous vivons se déchristianise et s’éloigne de plus en plus de ses repères historiques. Et cela fait de la vie chrétienne un choix de plus en plus contraire au consensus social. En ce moment, nous souffrons des abus commis par des prêtres et des responsables d’église contre des enfants et des personnes fragiles. Mais nous souffrons aussi des abus légalisés commis par le législateur contre les enfants à naître qui seront privés d’un père ou d’une mère par la seule volonté humaine. Il est dramatique et bouleversant de voir que la dignité des plus petits et des plus faibles qui était jusque-là considérée comme inaliénable est désormais peu à peu évincée, renversée, remplacée par le projet parental des adultes, projet parental devenu tout-puissant au nom d’une égalité des droits qui entend effacer, gommer, supprimer, les différences inscrites par la nature dans la réalité humaine.
Mais souffrir avec le Christ à travers ces tempêtes, c’est recevoir de lui la paix de la résurrection dans nos esprits, c’est recevoir son Esprit-Saint de miséricorde et de pardon dans nos cœurs. Il faut bien cela pour accueillir et accompagner les traumatismes innombrables que notre monde est en train de créer. C’est même à cela que nous reconnaissons la grâce du Christ en nous.
Car tout est là : comment supportons-nous l’adversité Frères et Sœurs ? Comment traversons-nous les tempêtes ? Que devenons-nous avec le temps, lorsque notre foi nous appelle à persévérer malgré les vents contraires ?
Allons-nous devenir plus durs, plus aigris, plus amers, nous endurcir dans la déception et la désillusion, ou bien, allons-nous prier pour nos adversaires, comme le Christ nous l’ordonne ?
Ce commandement de l’Évangile ne s’applique pas seulement aux débats de société ou aux changements de civilisation, comme on dit aujourd’hui. Ce commandement d’amour que le Christ nous donne s’applique également à la vie-même de nos communautés. Entre nous il y a parfois du vent et des tempêtes. Mais le Seigneur est là, crucifié ressuscité, qui nous donne son Esprit-Saint de justice et de paix. Renouvelons-lui donc notre confiance, Frères et Sœurs, ce matin, en nous redisant que « même le vent et la mer lui obéissent ». Et que, dans la joie de son Esprit-Saint, nous puissions continuer à construire une communauté fraternelle qui manifeste à notre monde la lumière de son amour. Amen.
Père Patrick Faure
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