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Homélie prononcée le 16 mai 2021
Frères et Sœurs,
On pourrait s’étonner que pendant les 40 jours qui vont de Pâques à l’Ascension le Christ ressuscité n’ait pas eu l’idée de remplacer lui-même Judas par Matthias, puisque c’est déjà lui qui avait choisi les douze apôtres. Il avait pourtant largement le temps de penser à reconstituer le groupe des douze. Alors, pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Et, de leur côté, les apôtres ne semblent pas non plus le lui avoir demandé tant qu’il était encore avec eux. Pour parler comme aujourd’hui, nous dirions, peut-être avec un brin d’humour : quel est ce manque d’organisation ? Mais, plus sérieusement, pourquoi donc cette réserve de la part du maître, et même de ses disciples ?
À cela, Frères et Sœurs, on peut répondre que le Christ a sans doute prévu et voulu qu’après son départ la jeune église puisse « voler de ses propres ailes », c’est-à-dire qu’elle puisse par elle-même trouver des hommes qui succéderaient aux apôtres, au fur et à mesure qu’elle avancerait dans le temps et qu’elle s’éloignerait de l’époque primitive. Bref, une église qui soit autonome, capable de se renouveler d’une génération à l’autre, mais pas pour autant indépendante ni coupée du Christ, puisque le Christ lui-même le dit dans saint Jean : « sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5).
Donc le Christ a certainement prévu et voulu, pour après son Ascension, une église qui grandirait en autonomie et en liberté, mais qui lui resterait fidèlement attachée. Car c’est en restant attaché à Dieu et en le servant qu’on reste libre, non pas en se coupant de lui. C’est en obéissant au Christ et à son grand commandement d’amour qu’on peut bâtir des communautés unies et autonomes susceptibles de tenir dans le temps, non pas en le reniant ni en l’oubliant.
Et c’est dans ce lien à Dieu et au Christ que les disciples ont pu former dès après l’Ascension une véritable fraternité. Les Actes des Apôtres que nous avons entendus ont insisté sur le fait que l’apôtre Pierre était debout « au milieu des frères ». Dès les premiers siècles chrétiens, l’Église était appelée « la Fraternité ». C’était même là son nom propre. Pourquoi « la Fraternité » ?
Parce que toute l’œuvre du Christ, c’est de nous donner Dieu pour Père, le Dieu des vivants qui donne la vie aux morts. Appartenir au Christ, c’est être enfants de Dieu comme il l’est lui-même, Jésus, le Fils « aîné d’une multitude de frères » nous dit saint Paul (Rm 8,29). Appartenir au Christ, c’est être ses frères et ses sœurs au sens fort, parce qu’on a vraiment le même Père que lui. C’est pour cela qu’après la première lecture où les Actes des Apôtres nous ont montré Pierre au milieu des frères, l’évangile nous montre Jésus priant le Père pour que nous restions conscients qu’être les frères du Christ, c’est être les fils et les filles bien-aimés du Père, et ressembler à son Fils unique.
D’où le fait que les disciples du Christ reçoivent du Christ un sens et une expérience de la fraternité qui les maintiennent en permanence dans la présence et la fécondité spirituelle du Père. La grande prière des chrétiens, c’est le Notre Père que Jésus nous enseigne et nous aide à comprendre. D’où également l’assurance pleine d’Esprit-Saint que les chrétiens doivent avoir quand ils parlent de fraternité, en toute vérité pleine de clarté, mais aussi en tout amour plein de respect.
Frères et Sœurs, faut-il le redire : une fraternité qui n’a pas de père n’est pas une vraie fraternité. Une fraternité qui se voudrait universelle, mais qui ne reposerait que sur des valeurs de la raison ou sur des droits de l’homme, et qui se couperait de ses parents, de ses racines ou de ses origines, et ultimement de Dieu comme de son père premier, serait une fraternité moins universelle qu’elle dirait, car Dieu seul est le Père de tous. Une fraternité sans père n’est pas une fraternité durable.
Bien sûr, nous savons que les chrétiens qui se réclament d’un même père en Jésus-Christ ont largement brisé leur fraternité, largement blessé leur unité, en se déchirant cruellement pendant les guerres de religion, ou en s’ignorant volontairement entre les différentes confessions chrétiennes. Mais nous savons aussi que ces déchirures entre chrétiens ne tiennent pas au fait qu’ils ont un même Dieu et Père, mais au fait qu’ils oublient que Dieu est amour, comme l’a rappelé saint Jean dans la deuxième lecture.
Si les chrétiens peuvent tomber sous l’emprise du mauvais, l’emprise de Satan le Prince de ce Monde, alors que pourtant ils n’appartiennent pas au monde, nous dit l’évangile, ce n’est pas parce que la prière du Christ à son Père de les protéger du mal est une prière inefficace ou faible, c’est parce que les chrétiens sont libres comme Judas de trahir leur maître, et de le faire crucifier par leurs fautes, tout en étant convaincus qu’ils rendent un culte à Dieu et à la vérité. Or, dans ces cas-là, ce n’est ni Dieu ni la vérité qui sont mauvais, ce sont les cœurs qui se laissent prendre par le besoin d’avoir raison et le désir de dominer.
Alors, pour que les disciples dont nous sommes soient préservés du mauvais, pour qu’ils gardent entre eux le trésor de la fraternité spirituelle, Jésus prie le père et il lui demande quelque chose qui peut nous paraître étrange. Il lui demande que nous soyons « sanctifiés dans la vérité ». Que veut dire « être sanctifiés dans la vérité » ? Cela veut dire avoir un rapport à la vérité qui soit un rapport de sainteté, c’est-à-dire avoir un rapport à la vérité qui soit vécu dans l’Esprit-Saint, dans l’Esprit de sainteté, l’Esprit sanctificateur. Or, l’Esprit-Saint, vous le savez, le paraclet, le défenseur, l’autre consolateur, l’Esprit qui conduit vers la vérité toute entière, c’est en même temps l’amour du Père et du Fils.
« Être sanctifiés dans la vérité », c’est donc rechercher la vérité en restant dans l’amour, dans l’amour spirituel et fraternel. Et aussi, inversement, « être sanctifiés dans la vérité », c’est vivre l’amour spirituel et fraternel, tout en recherchant la vérité. Pas l’un sans l’autre. Pas la vérité sans l’amour. Pas l’amour sans la vérité. « Être sanctifiés dans la vérité », c’est rechercher la vérité sur les désaccords, les injustices, les abus et les scandales, et c’est les dénoncer courageusement, mais tout en se maintenant dans l’amour qui interdit la haine, la violence, la vengeance et l’indignité, parce que toute la souffrance du monde est portée par le Christ qui demande au Père le pardon pour ses bourreaux.
Et aussi, inversement, « être sanctifiés dans la vérité », c’est développer les liens fraternels au sein des différentes communautés humaines auxquelles on peut appartenir, mais tout en recherchant la vérité sur ces liens fraternels, sur leurs vraies motivations, leur vraie profondeur, et leurs références à des principes transcendants qui sont, de près ou de loin, l’image du père et l’image de Dieu.
Mais par-dessus tout cela, et pour grandir et se maintenir dans la fraternité du Christ, dans cet équilibre de sainteté – vous l’avez compris - qui tient ensemble l’amour et la vérité, qui ne sacrifie pas la vérité, qui ne l’étouffe pas au nom de l’amour, et qui ne sacrifie pas non plus l’amour, qui ne l’oublie pas au nom de la vérité, il faut, comme le dit le Christ, « se garder dans le nom du Père », c’est-à-dire, comme il le fait lui-même, demeurer dans la prière à Dieu, dans l’humble conscience que sans la grâce de Dieu nous ne pouvons pas lui ressembler, ni avancer dans sa sagesse et dans son audace.
Alors, Frères et Sœurs, ce matin confions-nous particulièrement au Christ qui prie le Père pour nous et avec nous, et demandons à Dieu notre Père qu’il nous donne son Esprit-Saint sanctificateur pour que sur toutes nos relations et sur tous nos projets nous puissions recevoir la lumière de la vérité autant que la force d’aimer, pour être vraiment les membres du Christ qui aideront à édifier la fraternité que tous désirent. Alors se réalisera pour nous la promesse de Jésus qui veut mettre en nous sa joie, et qui veut que cette joie nous comble et qu’elle déborde autour de nous. Amen.
Père Patrick Faure
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