Hommes de science et de foi

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Homélie prononcée le 3 janvier 2021

Frères et Sœurs,

cet évangile que nous venons d’entendre ne nous dit pas que les mages étaient au nombre de trois, et qu’ils étaient des rois. C’est la tradition chrétienne qui a décidé qu’ils étaient trois parce que ces mages étaient censés représenter toute l’humanité venant aux pieds du Christ, et que, pendant de longs siècles, cette humanité venait des trois seuls continents connus qui étaient l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Il y avait trois mages parce qu’on ne connaissait que trois continents. Aujourd’hui, nous pourrions avoir au moins cinq mages ! Et cette même tradition a fait de ces mages des rois parce que le prophète Isaïe avait prédit qu’un jour des rois de l’Orient viendraient de loin jusqu’à Jérusalem (Is 60,1-6). La tradition chrétienne s’est donc permis une certaine liberté d’interprétation du texte évangélique.

Mais disons tout de suite que cette liberté d’interprétation ne remet pas en cause le fait que les mages ont bien existé, qu’ils sont bien venus d’Orient et qu’ils ont bien été guidés par une étoile, ou – ce qui revient au même – par une conjonction astrale des deux planètes Jupiter et Saturne entre les années moins 7 et moins 6 avant notre ère, c’est-à-dire au moment le plus probable de la naissance de Jésus1. Jupiter représentait le dieu de Babylone, et Saturne représentait le peuple juif. Cette conjonction astrale était donc un signe du ciel adressé à Babylone au sujet du peuple juif et du royaume d’Israël. Il y a donc des éléments scientifiques, historiques et culturels solides qui rendent le récit de saint Matthieu crédible en son fond, quelles que soient, par ailleurs, les libertés que la tradition chrétienne s’est accordé concernant le nombre de mages et leur statut de rois.

En tout cas, pour nous ce matin, nous devons retenir de ce récit qu’il conjugue la science et la foi, car les mages sont des hommes de science et des hommes de foi. L’Évangile ne sépare pas ces deux qualités. L’Évangile ne met pas d’un côté le travail scientifique - de l’astronome ou de l’historien - qui procède par observation, par hypothèses, par démonstration, et, d’un autre côté, l’acte de foi du croyant qui reçoit de Dieu une lumière supérieure à celle de la raison sur le sens de l’existence et sur la destinée ultime de l’humanité.

Au contraire, l’Évangile d’aujourd’hui, à travers les mages, tient ensemble, et dans une belle harmonie, d’un côté la recherche scientifique et technique par laquelle nous scrutons le ciel et maîtrisons le monde, et, d’un autre côté, la démarche de foi par laquelle nous croyons que ces sciences et ces techniques ne sont pas des instruments de pouvoir qui nous érigent en maître absolus de la terre et de l’univers, mais sont, au contraire, des instruments de service qui nous demandent de progresser dans la justice et dans la paix, en nous laissant guider par le sens de Dieu et la grandeur de l’homme, comme l’ont fait les mages.

La question que l’Évangile nous pose aujourd’hui est donc la question de savoir dans quel esprit nous faisons les choses. Si l’utilisation de nos pouvoirs nouveaux s’impose de respecter la transcendance de Dieu et la dignité humaine qui lui ressemble, alors notre humanité avancera vers son salut, et elle pourra entendre la voix des prophètes qui lui dira – comme aux mages de l’Évangile – que l’homme véritable, authentiquement humain et promis à un avenir glorieux, ne se fabrique pas à coup d’augmentations biotechnologiques transhumanisantes, mais qu’il se reçoit d’en-haut, comme une naissance, dans l’amour et le respect des plus pauvres. Et les crèches de Noël garderont alors tout leur sens dans nos églises et dans nos maisons.

Mais si l’illusion et l’ivresse de la toute-puissance règnent en haut-lieu sur la mise en œuvre des pouvoirs scientifiques et techniques, alors notre humanité n’écoutera que ses propres pulsions, et ses appétits déraisonnables, et elle les imposera par la loi du plus fort qui définira par lui-même ce qui est Bien, ce qui est Mal, ce qu’est la Vérité, ce qu’est la Vie. Et cette humanité-là se fera Dieu à la place de Dieu. Mais elle sera en même temps l’artisane de sa propre déchéance, car à force de fonctionner de manière calculée, cérébrale et informatisée, elle aura oublié les battements de son cœur, et elle aura sacrifié l’amour des personnes et de leur liberté au diktat des systèmes et des modèles artificiels. Qui nous sauvera de la déshumanisation et de la dénaturation qui semblent aujourd’hui si bien armées par les progrès de la modernité ?

La réponse est peut-être à chercher du côté de la science elle-même quand elle se rapproche des mages de l’Évangile. Car les mages sont des scientifiques audacieux et aventureux. Mais ils sont humbles et sans prétention. Or, aujourd’hui, la science la plus avancée n’est pas que recherche et conquête effrénée de nouvelles techniques, pour de nouveaux marchés ou de nouveaux pouvoirs. Non, Frères et Sœurs, aujourd’hui la science la plus pointue est plutôt modeste, au fur et à mesure que ses découvertes remettent en question ses présupposés réputés intouchables qui sont, en réalité, des présupposés idéologiques. Ainsi, de plus en plus, il faut faire appel à des considérations autres que matérielles et physiques pour expliquer le comportement de l’univers, les mécanismes de l’évolution et le fonctionnement humain2.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, à l’heure où nous parlons, vous le savez, la science médicale reconnaît officiellement3 que notre conscience ne peut plus être considérée comme le simple produit de notre cerveau, comme le voulaient depuis longtemps et comme le veulent encore les présupposés matérialistes et rationalistes qui influencent la recherche médicale. Non, la conscience humaine subsiste au-delà de la mort clinique. Et cette conscience est le signe que l’être humain et son psychisme ne s’explique pas simplement par ses données physiques et physiologiques. Cette dimension extracorporelle et extrasensorielle de la conscience qu’on appellera aussi l’âme ou l’esprit est le signe que l’être humain ne se réduit pas à ses seules capacités d’analyse, de maîtrise et d’entreprise, mais que tout une part de lui-même est immortelle, et donc essentielle. Or, cette part essentielle reçoit les choses et les accueille, et ne peut donc pas se prendre pour son propre créateur qui se fait tout seul, et qui décide seul de son avenir et de sa destinée.

C’est donc peut-être en écoutant la voix intérieure à la science elle-même – que cette science soit médicale ou autre - que certaines mises en œuvres des technologies actuelles pourront garder le sens de la mesure, de la sagesse et du respect de l’être humain dans son environnement et dans l’univers.

En tout cas, l’Évangile d’aujourd’hui nous dit que cette voix intérieure à la science peut guider bon nombre de chercheurs vers la vérité du monde et de l’humanité, en leur donnant des intuitions justes sur la création et sur l’être humain. Et ceux d’entre eux qui voudront poursuivre le voyage, et rencontrer le Créateur, devront alors écouter la parole des prophètes et la révélation de Dieu qui leur parleront de l’Amour éternel, créateur et sauveur.

En cette fête de l’Épiphanie, Frères et Sœurs, tenons fermes dans l’espérance que Dieu saura nous guider dans notre usage des moyens fabuleux qui sont aujourd’hui à notre disposition, pour que nous n’y perdions pas notre âme, mais pour que nous y gardions le sens de notre dignité, afin que ces moyens nous permettent de grandir en humanité, en vraie liberté, en capacité de nous aimer les uns les autres, parce que c’est là qu’est notre vie et notre avenir d’enfants de Dieu. Amen.

Père Patrick Faure

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