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Homélie prononcée le 5 septembre 2021
Frères et Sœurs,
Le Seigneur Jésus n’a pas guéri tous les aveugles et tous les sourds-muets. Il n’en a guéri que quelques-uns. Et, en plus, il a ordonné qu’on n’en fasse aucune publicité, comme nous l’a rappelé saint Marc dans l’évangile que nous venons d’entendre. Pour quelle raison imposer un tel silence ? Vous le devinez sans doute : pour que nous comprenions que ces guérisons physiques ne sont que des signes assez rares et extraordinaires d’une guérison spirituelle plus profonde et plus générale que le Christ est venu apporter par sa vie et sa mort, sa résurrection et le don de l’Esprit-Saint : la guérison du cœur humain, guérison du cœur et des sens intérieurs qui fait voir et comprendre que l’homme est fait pour une communion éternelle d’amour et de vie, guérison du cœur qui fait entendre la voix de la sagesse et retrouver la notion du vrai bien, guérison du cœur qui fait parler en profondeur et avancer dans la justice et dans la paix.
Or, cette guérison spirituelle du cœur humain, elle est aussi vitale que la guérison physique des aveugles ou des sourds-muets. C’est pour cela que Jésus accomplit ces miracles physiques essentiels, et qu’il en fait des signes de ce grand miracle intérieur, universel et permanent qui est le changement du cœur humain. À notre baptême, quand nous étions enfants ou adultes, nos sens intérieurs ont été réouverts au moment où nous avons reçu le rite de l’ephata qui a reproduit sur nous le geste de Jésus ce matin sur le sourd-muet.
Mais à cause de nos fragilités physiques et spirituelles, nous réentendons ce matin cet évangile, et, chacun et chacune d’entre nous dans son cœur intime, nous demandons au Christ de renouveler la grâce de notre baptême, et nous lui faisons la même confiance que cet homme païen sourd et muet qui se laisse ausculter par lui en s’abandonnant entre ses mains.
Car, tout baptisés que nous sommes, Frères et Sœurs, nous subissons le parasitage et le matraquage sonore de notre société : trop de bruits, trop de sons, trop de fréquences différentes qui affaiblissent et même handicapent non seulement notre faculté d’écoute les uns des autres, mais aussi notre aptitude à écouter Dieu. Car, en temps ordinaire, Dieu parle doucement à notre conscience. Et même s’il lui arrive, à certains moments clé de notre vie, de prendre les grands moyens et de parler plus fort, habituellement il murmure sa présence à voix basse à notre cœur, au fil des jours et de la prière, pour ne pas violer notre liberté.
Or, aujourd’hui, les casques ou les écouteurs sur les oreilles, les fonds sonores chargés de créer des ambiances et des atmosphères dans la plupart des espaces urbains, et les bruits des radios, des télés, des jeux vidéo qu’on juge indispensables sont autant de manières d’occuper l’esprit, et de retarder, voire d’exclure, les vrais moments de silence où l’on se recueille en soi-même, où l’on prend le temps de réfléchir aux questions de fond, où l’on se réhumanise en redécouvrant qu’on a une existence intérieure qui n’est pas que mentale ou sentimentale, mais qui est le lieu de notre mémoire, de notre unification personnelle, de nos grandes décisions, une existence intérieure où nous pensons au sens et à la finalité de notre vie, et où l’on peut s’ouvrir à la présence de Dieu.
Eh bien, la rencontre avec le Christ et la relation suivie avec lui dans son église nous libèrent peu à peu de notre assourdissement et de notre mutisme.
Et nous découvrons alors une manière nouvelle d’écouter Dieu, nous-mêmes et le monde, et de parler aux autres, une manière plus vraie où nous cessons de nous mentir à nous-mêmes et où nous sortons du déni de réalité sur nos failles et sur nos fautes, une manière plus simple et plus humble d’être nous-mêmes parce que nous avons pris conscience que Dieu est là dans notre vie, et qu’il prend de plus en plus de place, non pour nous envahir ou nous écraser, mais pour nous dire que nous avons du prix à ses yeux, qu’il nous aime et qu’il nous veut tous ensemble dans son éternité. Oui, Frères et Sœurs, tous ensemble « de toute race, langue peuple et nation », comme le dit l’apocalypse de saint Jean.
C’est pour cela que Jésus guérit le sourd-muet dans le territoire de la Décapole qui est justement une région multiethnique et multiculturelle, parce qu’il veut rassembler son église de tous les horizons de la terre, dans l’unité d’une même foi, d’un même amour et d’une même espérance.
Guérir de notre surdité, de notre mutisme, c’est guérir de nos préjugés qui nous divisent, de nos opinions toutes faites et irrationnelles, c’est arrêter de ne vouloir entendre que ce qui va dans notre sens, et c’est accepter comme le Christ de tout entendre, sans forcément tout accepter ni tout tolérer, sans cesser de combattre le mensonge et la violence, mais en étant sereins au fond de nous-mêmes parce qu’on entend sa voix qui nous dit : « courage, n’ayez pas peur. J’ai vaincu le monde. Je viendrai vous prendre avec moi. Et même si vous mourrez, vous vivrez ».
C’est comme cela que le Christ nous rapproche les uns des autres. C’est comme cela qu’il nous fait vivre ensemble et grandir dans l’amour fraternel, et qu’il nous apprend le sens du devoir et du respect mutuel entre nous, et à partir de là, envers nos contemporains et même envers notre environnement.
Être guéris par le Christ, c’est être intégrés par lui peu à peu dans cette grande unité d’écoute et de parole de paix entre nous et avec notre monde, et même avec notre terre parce qu’on obéit alors au grand projet de Dieu qui est de tout rassembler dans l’amour du Christ.
Est-ce providentiel, Frères et Sœurs ? Mais, en tout cas, s’agissant de notre terre, à l’heure où nous parlons vous le savez, même dans les milieux les plus laïcs, la conscience écologique est active et quelquefois virulente pour alerter nos dirigeants sur l’épuisement de nos ressources énergétiques, sur les destructions irréversibles de notre environnement, et sur les effondrements économiques et sociaux qui peuvent en résulter. À cet égard, le pape François n’a pas été en reste quand il a publié sa grande encyclique entièrement consacrée à la crise écologique.
Mais si les voix mêmes les moins religieuses et les moins spirituelles redécouvrent – et c’est heureux – le sens du devoir et du respect qu’on doit réapprendre à l’égard de la terre, notre terre, si nous voulons survivre, il reste que justement parce qu’elles ne sont pas assez religieuses et pas assez spirituelles, ces voix ne vont pas jusqu’à redécouvrir et à réapprendre que ce devoir et ce respect doivent s’exercer aussi envers l’être humain lui-même.
Or, c’est lorsque l’on est guéri par le Christ qu’on saisit dans toute sa profondeur l’unité de l’homme et du cosmos, parce que cette unité-là est voulue par Dieu pour tout rassembler dans le Christ. C’est lorsque l’on est guéri par le Christ qu’on comprend et qu’on dit qu’on ne sauvera pas la terre de la destruction sans réapprendre aussi à respecter l’être humain dans ce qu’il a d’absolu et d’inviolable, sans réapprendre aussi à voir la grandeur de l’homme dans sa liberté spirituelle et dans son ouverture à Dieu, et pas dans ses appétits de pouvoir, de croissance et de consommation.
Le Christ qui nous guérit nous dit et nous fait dire que notre terre est faite pour notre humanité, comme notre humanité pour notre terre, et qu’on ne pourra pas sauver la terre sans sauver de ses dérives et de ses autodestructions l’humanité qui s’y développe.
Or ce salut, il commence parmi nous, ici et maintenant, dans la réouverture de nos sens intérieurs à la vie fraternelle de nos communautés, dans l’amour mutuel que le Christ nous commande, lui qui nous aime et qui nous guérit. Alors, dans la confiance et dans la paix, demandons à Dieu ce matin que le Christ nous prenne auprès de lui, et qu’il nous accompagne par son Esprit-Saint sur le chemin de notre conversion, de guérison et de communion avec lui, entre nous, et avec notre monde. Amen.
Père Patrick Faure
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