La radicalité de l’évangile face aux abus sexuels

Vous êtes ici : Accueil > Homélies > 2021 > La radicalité de l’évangile face aux abus sexuels

Homélie prononcée le 11 octobre 2021

Frères et Sœurs,

Aujourd’hui nous accueillons dans la joie l’entrée en catéchuménat d’une jeune femme africaine, M’Mah, qui vient de Guinée jusqu’à cette cathédrale, et qui se prépare à être baptisée à Pâques, c’est-à-dire à recevoir en elle, au plus profond de son être, le passage de Jésus de la mort à la vie, de la mort sur la croix à la vie éternelle, c’est-à-dire la vraie vie.

Et cette entrée en catéchuménat ravive notre conscience d’avoir, nous aussi, reçu dans notre cœur, par notre baptême, toute la puissance d’amour de Dieu qui ressuscite les morts, et qui fait renaître à une vie nouvelle et inimaginable celles et ceux qui croient en lui, et qui attendent de lui la lumière et la paix.

A côté de M’Mah, nous avons aussi le bonheur d’accueillir 50 Petits Chanteurs de la cathédrale saint-Pierre de Cologne, en Allemagne – plus exactement 50 Petites Chanteuses, puisque c’est le chœur des filles – qui s’ajoutent aux Petits Chanteurs de Grenoble, pour former un groupe d’environ 80 jeunes dans le chœur de notre cathédrale.

Et en même temps, Frères et Sœurs, vous le savez, nous sommes sous le choc, sous le choc du rapport qui a été rendu public cette semaine concernant les abus sexuels commis dans l’église catholique sur des jeunes ou des êtres fragiles par des personnes en responsabilité, soit des laïcs, soit surtout des prêtres ou des religieux ou des religieuses.

Les chiffres sont accablants, et, sans doute, approximatifs. Comme moi vous les avez entendus. Sur les 70 dernières années depuis 1950, en France, il est question d’environ 3000 prêtres qui ont abusé environ 216 000 jeunes, mineurs au moment des faits, ce qui représente à peu près 3% du nombre total des prêtres, et 4% du nombre total des victimes françaises, à l’échelle nationale pendant la même période.

Le Saint-Père a réagi à ce rapport, en disant sa honte et sa peine devant les crimes commis. La commission indépendante qui a travaillé pendant deux ans et demis pour établir ce rapport pointe les carences de l’institution ecclésiale qui – je la cite – « n’a pas su clairement prévenir ces violences, ni simplement les voir, et encore moins les traiter avec la détermination et la justesse requises ».
Cette commission a surtout mis les victimes au cœur de ses travaux, estimant qu’il ne peut pas être question de « tourner la page », mais qu’il faut bien plutôt reconnaître en vérité le mal commis, et travailler autant que faire se peut à sa réparation et à la reconstruction des vies détruites.

La commission ajoute qu’elle a creusé aux racines du mal – je la cite encore – « aussi profondément que l’Église est en train de le faire elle-même », notamment sous l’impulsion du pape. Et le rapport invite l’église de France à s’emparer du travail accompli, afin de retrouver la confiance des chrétiens, et le respect de la société française dans laquelle elle a tout son rôle à jouer ».

De son côté, l’évêque de Grenoble a redit sa compassion pour les victimes qui sont, sans doute, heureuses de ce rapport, mais qui sont aussi ravivées dans leur douleur. Notre évêque parle, pour l’institution ecclésiale, d’une épreuve de purification qui est nécessaire pour éradiquer le mal, afin que l’Église redevienne une « maison sûre », comme le répète le pape François.
Toute cette noirceur, Frères et Sœurs, peut paraître bien éloignée de l’évangile que nous venons d’entendre où l’homme riche qui vient trouver Jésus a respecté, depuis sa jeunesse, aussi bien les commandements de Dieu que ceux de la conscience morale. Et Jésus le regarde en l’aimant.

Voilà un homme qui, à bien des égards, est un modèle de vertu par rapport aux crimes de son temps et à ceux d’aujourd’hui.

Et pourtant, lui qui n’a pas de faute morale lourde sur la conscience, ni de péché grave à se reprocher, il a peut-être, malgré tout, un point commun avec bien d’autres hommes, y compris abuseurs ou destructeurs. Il est accroché à ses biens, à ses propriétés, à ses avoirs, comme d’autres sont accrochés à leur pouvoir, à leurs envies, et, finalement, à leurs dérives. Bien sûr, il se maîtrise puisqu’il obéit à la loi, la loi qui est là pour protéger les plus faibles, et imposer la justice à tous.

Mais, tout d’un coup, il sombre dans la tristesse et ses espoirs d’éternité s’effondrent quand Jésus lui fait comprendre que pour avoir la vie éternelle, il faut être prêt à ne plus rien avoir, à tout perdre et ne plus rien posséder.

Or lui, il aime sa fortune en ce monde. Et il pense qu’elle est une bénédiction de Dieu qui a quelque chose à voir avec la vie éternelle. Or, la loi elle-même le dit dans les Psaumes : « si vous amassez des richesses, n’y mettez pas votre cœur » (Ps 61,11), c’est-à-dire, si vous accumulez des biens, ne vous y attachez pas, car ce n’est pas eux, par eux-mêmes, qui vous mèneront au ciel que votre cœur désire.

Voilà cet homme honnête, moralement bon et droit, investi dans les affaires, certainement dynamique et responsable, cet homme-clé, cet homme-ressource qui porte la société de son temps, qui a les moyens de la faire avancer dans le bon sens. Grâce à lui, l’humanité n’est pas soumise à la fatalité devant les grands défis, et elle peut changer quelque chose à son avenir. La bénédiction de Dieu est sur cet homme. Et Jésus l’aime.

Oui, Frères et Sœurs. Oui, mais… le vrai bien, le bien qui nous sauve de la vraie mort, le bien qui nous fait entrer dans la vraie vie, ce n’est pas le bien qui repose uniquement sur ce que nos mains peuvent accomplir. Ce n’est pas le bien qui s’appuie seulement sur nos propres forces, et que nous faisons par nous-mêmes et par nos seules capacités.
Ce n’est pas le bien, ce ne sont pas les biens, auxquels on s’attache et auxquels on tient de toutes ses forces parce qu’ils sont notre œuvre. Ces biens-là, ils sont sans doute honorables. Et ils sont constructifs.

Mais, Frères et Sœurs, ces biens même honnêtement acquis, ne franchissent pas la mort. Non seulement nous ne les emportons pas au ciel, mais dès ici-bas ils ne délivrent pas de la désespérance. Ils ne reconstruisent pas les vies détruites. Ils sont impuissants devant les existences ravagées.

Or, seul Dieu est bon, dit Jésus à l’homme riche. Seul Dieu est le véritable bien capable de faire renaître celles et ceux qui ne veulent plus vivre. Seul Dieu nous sauve parce qu’il est lui-même ce que l’humanité n’est pas et ne peut pas être : la Résurrection et la Vie. Et ce bien-là, il ne nous appartient pas.

Il n’est pas en notre pouvoir. Nous ne pouvons que le recevoir en nous ouvrant à lui, à condition de ne pas être agrippés à ce monde qui passe, à condition de nous détacher radicalement de tout ce qui nous entoure, de nos avoirs, de nos pouvoirs, de nos savoirs, et y compris de nous-mêmes.

« Celui qui ne renonce pas à lui-même ne peut pas être mon disciple », nous dit le Christ (Mt 16,24 ; Lc14,33).

Il ne s’agit pas de mépriser notre dignité humaine devant Dieu. Il s’agit, au contraire, de la sauver, en mettant à la première place dans nos vies le seul qui puisse accomplir l’impossible quand nous sommes anéantis par toutes nos destructions.

Les victimes qui ont été crucifiées par ceux-là mêmes qui étaient censés les sauver doivent pouvoir s’appuyer sur des hommes et des femmes de bien qui les aideront à se reconstruire.

Mais ces hommes et ces femmes de bien devront pouvoir en même temps œuvrer de tout leur cœur à ce travail de relèvement, et, en même temps, et dans un détachement radical et une vraie liberté intérieure, être prêts à accepter les échecs les plus irréversibles aussi bien que les miracles les plus inespérés, au-delà de tout ce qui aura été fait humainement et honnêtement.

Frères et Sœurs, demandons pour ces victimes, pour celles et ceux qui les entourent, pour nous-mêmes et pour notre pays, la force d’en-haut qui ne nous fera décourager de rien, ni dans les vérités à faire, ni dans les torts à reconnaître, ni dans les réparations à entreprendre, parce que cette force ne peut être que celle de l’amour, du seul amour qui soit éternel et bon, celui de Dieu pour notre monde. Amen.

Père Patrick Faure

Pour aller plus loin

  • Contact

  • Homélies

  • Intentions de prière

  • Intentions de Messe

  • Certificat de baptême

Livres

Quelques livres en rapport avec la Cathédrale de Grenoble, ou avec la vie de sa communauté

  • L’abbé Gerin raconté par un paroissien

  • Le Bon curé de Grenoble

  • La Vierge Marie, fille d’Israël

  • Une étincelle de Dieu