Secouer la poussière de ses sandales

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Homélie prononcée le 14 juillet 2021

Frères et Sœurs,

Vous vous en rendez bien compte, être croyants expose tôt ou tard à la contradiction. Parler de Dieu en adhérant à ce que l’on dit fait courir le risque à un moment ou à un autre d’être mal accueilli par ses contemporains, ou même rejeté par eux.

Le prophète Amos, dans la première lecture, dénonce les injustices économiques et sociales de son temps, les abus de pouvoirs et les haines viscérales. Il se heurte alors aux pouvoirs en place, aussi bien religieux que politiques. Et il est expulsé de l’Israël du nord, alors qu’il vient de l’Israël du sud, du royaume de Juda. Et de même, les apôtres de Jésus s’entendent annoncer qu’ils pourront être eux aussi mal accueillis, et qu’au lieu de s’obstiner ils devront partir, en secouant la poussière de leurs sandales, comme on le fait dans l’Ancien Testament, c’est-à-dire qu’ils devront partir en marquant bien que le refus de l’évangile ne tient pas à eux mais à ceux qui l’auront refusé ouvertement, et en marquant aussi que leur annonce du Christ était entièrement détachée de tout intérêt matériel.

Pas facile d’être envoyé de Dieu, témoin de la foi, engagé dans ce que l’on croit. Il n’est pas vrai, Frères et Sœurs, qu’être croyants rend la vie plus facile. Au contraire, et Jésus le dit ailleurs : « je vous envoie comme des brebis au milieu des loups » (Mt 10,16). Mais, ce qui est vrai, c’est que être croyant rend la vie plus heureuse. Et c’est encore Jésus lui-même qui le dit à saint Thomas : « heureux ceux qui croient » (Jn 20,29). Alors, de quel bonheur s’agit-il ?

Eh bien ce matin, Frères et Sœurs, il y a deux choses que nous devons bien comprendre. La première chose, c’est que ce bonheur, cet amour du Christ, n’est pas un vaccin contre les malheurs et contre les drames de l’existence. Les chrétiens sont éprouvés de la même manière et tout autant que leurs semblables. Souvent davantage, parce qu’ils portent en eux l’amour et la lumière du Christ qui éclairent les esprits sur la nature de l’homme et sur la destinée du monde. Et cela contrarie les projets manipulateurs qui veulent mettre la main sur la genèse de l’humain et sur l’avenir de l’humanité.

Et la seconde chose que nous devons bien comprendre, c’est que ce bonheur de Dieu, cet amour du Christ, il vient dans les cœurs qui croient, et il transforme ou transfigure la souffrance en donnant la paix du ciel dans les ronces de la douleur. Oui, effectivement. Mais ce qu’il faut bien voir, c’est que cet amour du Christ ne peut réaliser cela que si nous nous ouvrons à lui en toute liberté d’esprit. Ce bonheur de Dieu attend et demande notre libre adhésion pour nous faire grandir ensemble dans l’amour fraternel et dans le soutien mutuel.

Voilà ce bonheur de Dieu, cet amour du Christ. Et vous le comprenez, c’est un bonheur qui fait appel à notre liberté spirituelle, parce que la relation entre la foi chrétienne et la grâce de Dieu n’est pas une relation magique, faite de rites plus ou moins obscurs, mais une relation libre, une rencontre entre deux libertés, la nôtre et celle de Dieu, la nôtre qui fait ce qu’elle veut, et celle de Dieu qui, elle aussi, fait ce qu’elle veut. Notre bonheur de croyants est un bonheur libre, et cela fait partie de notre annonce de l’Évangile, notamment face à ceux qui le refusent, en l’accusant d’atténuer la souffrance humaine pour ensuite mieux soumettre la liberté humaine, et mieux l’inféoder à des structures de pouvoir et à des intérêts dominateurs.

Oui, Frères et Sœurs, il y a des esprits qui refusent d’accueillir et d’écouter l’Évangile, parce que, d’après eux, les chrétiens qui traversent les épreuves et les catastrophes de la vie en compagnie de Dieu ne sont, en réalité, que des assistés de Dieu dépendants de lui, contrairement aux autres hommes qui doivent se débrouiller sans Dieu et sans assistance divine, et qui, eux, font preuve d’une liberté plus grande et plus absolue puisqu’ils sont plus indépendants.

À cette critique acerbe, Frères et Sœurs, nous répondons que la solitude absolue n’a rien d’enviable, que l’existence et la présence d’un ami salutaire vaut toujours mieux que son inexistence et son absence, que Dieu est toujours là, que c’est nous qui manquons à ses appels, et qui jugeons qu’il nous ignore. Car pour nous chrétiens, oui certainement, la souffrance est moins dure parce qu’elle a un sens grâce à la croix de Jésus. Mais à cela nous ajoutons que tout être humain est appelé à entrer en toute liberté, quand il le voudra et quand il le décidera, dans cet amour du Christ.

Et la foi chrétienne confirme alors ce que la vie et la sagesse font découvrir, à savoir que, au cœur des pires souffrances, comme au sommet des plus grands bien-être, le cœur de l’homme, de tout homme, de toute femme, de tout opposant critique envers le Christ, reste libre, profondément libre de se tourner vers Dieu ou de se détourner de lui. Et cela est capital. Dans les moments les plus difficiles, vous le savez, certains se tournent vers Dieu et se jettent dans ses bras, tandis que d’autres le délaissent et crient à l’abandon. Mystère du cœur humain qui reste profondément libre de s’ouvrir ou de se fermer quelles que soient ses expériences.

Alors, à ceux qui accusent l’Évangile de procurer une piété consolatrice mais aliénante, et de masquer le vide et l’absence de Dieu auxquels sont confrontés leurs contemporains, à ceux-là nous répondons que les incrédules endurcis, malheureux de leur incroyance, jouissent à tout moment de leur liberté personnelle qui peut s’ouvrir à la grâce du ciel et à la consolation de l’Esprit. « Voici que je me tiens à la porte et je frappe, dit Jésus dans l’Apocalypse de saint Jean. Si quelqu’un entend ma voix et s’il m’ouvre, j’entrerai chez lui » (Ap 3,20). C’est cela l’Évangile, et nous devons l’annoncer en redisant bien que nous ne cherchons pas notre intérêt, mais seulement la résurrection de ceux qui croiront, parce que la vraie vie ne nous appartient pas, et parce que nous aussi nous sommes pauvres et précaires, et à notre manière mal croyants devant l’éternité qui nous habite. Oui, le Christ est le sauveur du monde.

Oui, l’Esprit-Saint et le secret de notre joie. Oui, notre Père du ciel nous aime et nous attire à lui. Nous ne sommes pas des enfants perdus. Nous savons d’où nous venons et où nous allons, comme l’a si magnifiquement redit la grande épître aux Éphésiens, dans la deuxième lecture. Mais tout cela ne vient pas de nous et ne nous appartient pas. Tout cela n’a rien à voir avec une quelconque projection de nos désirs inconscients qui nous aurait fait construire un système de compensation et de consolation, pour accepter plus facilement les sinistres inévitables de la condition humaine, et pour exercer une domination sur les esprits les plus faibles.

Cette critique matérialiste et athée venue tout droit du XIXe siècle tombe à plat devant l’expérience de Dieu. Elle s’évanouit devant la rencontre personnelle avec le Christ lorsque cette expérience et cette rencontre changent la vie, touchent le cœur, bouleversent les habitudes, et libèrent la joie d’aimer vraiment. C’est cela qui s’est passé dans la vie des apôtres et des prophètes. Et c’est ce qui peut se passer aujourd’hui dans notre propre vie, dès l’instant que nous demandons à Dieu d’augmenter notre peu de foi.

Oui, nous dit la foi chrétienne, Dieu est le créateur de l’univers, et il vient faire sa demeure en nous pour nous faire naître et renaître en lui par le baptême, et pour participer à sa splendeur infinie. Oui, l’onction de son Esprit vient soulager les infirmes et guérir les blessures, comme l’a redit l’évangile et comme l’a développé la tradition de l’Église à travers le sacrement des malades. Mais cela ne nous appartient pas, et ne vient pas de nous. Il n’y a là aucun calcul d’intérêt de notre part, et nous secouons la poussière de nos sandales devant les esprits retors qui se ferment à l’amour éternel. Car la foi chrétienne ne vient pas des hommes. Elle descend du ciel, et elle nous plonge dans un grand amour qui a vaincu la mort et qui donne l’éternité.

C’est cette plongée que Simon et son frère Hugo vont maintenant vivre en étant baptisés. En toute liberté, ils vont confesser la foi au milieu de nous, et nous avec eux. Et ils vont être unis pour toujours à la Passion et à la Résurrection du Christ Jésus, comme nous le sommes nous aussi par notre baptême. Alors, Frères et Sœurs, que notre joie soit grande, afin qu’à notre tour, et à notre mesure, nous puissions apporter à notre monde quelques rayons de la lumière de Dieu. Amen.

Père Patrick Faure

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