« Si tu le veux, eu peux me purifier »

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Homélie prononcée le 14 février 2021

Frères et Sœurs,

depuis plusieurs dimanches, l’évangile selon saint Marc nous raconte les nombreuses guérisons que le Christ accomplit en Galilée au début de son ministère : l’expulsion des esprits impurs, la guérison de la fièvre et de toutes sortes de maux. A chaque fois les malades sont très entourés, soit par les fidèles dans la synagogue, soit par les foules qui les apportent aux pieds du Christ.

Mais il y a une maladie qui n’est pas comme les autres. Et c’est de cette maladie-là qu’il s’agit ce matin : la lèpre qui ronge la chair et qui tue à petit feu, en étant contagieuse et en répandant autour d’elle une odeur de mort. Cette plaie ne rend pas seulement malade. Elle rend impur, au sens où elle empêche de participer à la vie et à la prière de la communauté. Le lépreux est coupé de la société, totalement confiné, mis à part avec les autres lépreux, et la loi interdit qu’on le touche.

Cette maladie terrible isole tellement du reste des hommes qu’elle est comprise comme une malédiction, c’est-à-dire comme un état de rupture avec Dieu, le Dieu des vivants qui donne la vie aux hommes et à tous les êtres. C’est pour cela que, dans la tradition biblique, la lèpre est vue comme le signe-même du péché, car le péché n’est rien d’autre que la séparation d’avec le Dieu vivant et avec la communauté de tous les hommes.

D’où la première lecture qui nous a dit que les prêtres, les ministres de Dieu, étaient chargés de constater la lèpre et de déclarer le malade impur et exclu du camp jusqu’à son éventuelle guérison. Le malade était perçu comme réprouvé par Dieu (cf. Nb 12,11-15), et il était rejeté par tous. Cette double peine était alimentée par la peur de la contagion et de la mort.

Frères et Sœurs, bien avant les progrès de la médecine et de la science, il a fallu l’amour du Christ pour changer les choses et faire bouger les mentalités. On connaît saint François d’Assise au début de sa conversion quand il menait une vie légère et dissipée, indifférente à Dieu et aux malheureux de son temps. Il ne pouvait pas supporter la vue horrible des lépreux. Mais il raconte qu’un jour, pourtant, il leur fait miséricorde en leur portant secours. Et il en retire alors une grande douceur de l’âme et du corps. Il finit par embrasser l’un des lépreux, et il est entièrement converti à l’amour de Dieu. Et il comprend qu’il est guéri de son indifférence, de son égoïsme insouciant, de son individualisme frivole qui était une véritable lèpre. Cette lèpre-là, invisible aux yeux de chair, l’enfermait dans son milieu social et le séparait des pauvres et des malades. Elle était son péché dans lequel il vivait, comme il l’a dit lui-même. Et il ne voyait pas la gravité de son état. Mais l’amour du Christ lui a ouvert les yeux.

Il faudrait citer tant d’autres saints et saintes qui ont, eux aussi, comme saint François, fréquenté des lépreux. Beaucoup d’entre eux en sont morts. Mais, avec le temps, ils ont fait reculer la lèpre, parce qu’ils ont rendu aux malades le goût de la vie et la volonté de se battre, et parce qu’ils ont poussé les bien-portants à se mobiliser pour extirper ce grand fléau.

Avec l’évangile de ce matin, nous revenons à la source de ce courant d’amour qui a changé tant de vies. Quand le Christ touche et purifie le lépreux qui l’implore, il transgresse la loi de Moïse et ses interdits qui veulent avant tout protéger les bien-portants contre la contagion. Or, nous le savons, c’est par amour que Jésus transgresse la loi, par un amour qui va faire un miracle parce qu’il est plus fort que la maladie et que la mort. Mais ne nous y trompons pas.

Cet amour qui pousse le Christ à toucher, à guérir et à purifier ce lépreux, Frères et Sœurs, c’est l’amour qui fait vivre avec Dieu, qu’on soit bien-portant ou qu’on reste malade. C’est l’amour éternel qui donne la joie de Dieu, cette joie que ne peuvent donner par elles-mêmes ni la bonne santé ni la guérison physique. C’est l’amour qui se laissera crucifier à Jérusalem sans chercher à se guérir ou à se purifier, mais qui prendra sur lui nos maladies, nos blessures et toutes les lèpres de nos âmes, afin que nous puissions vivre et supporter ces maladies, ces blessures et ces lèpres en union d’amour avec lui, et que, dans cette union, nous apprenions à lutter contre ce mal, autant par le combat spirituel que par les progrès de la science et l’amélioration des soins.

Ne soyons pas des païens qui veulent que Dieu arrange leurs affaires quand ils en ont besoin, et qui, le reste du temps, l’ignorent tranquillement ou alors le vénèrent par crainte et par superstition. Ne soyons pas des païens qui ne prient Dieu ou ne se tournent vers lui que lorsqu’ils ont mal quelque part et ont peur de souffrir.

Soyons des chrétiens qui veulent aimer Dieu en toutes circonstances parce qu’ils comprennent la profondeur humaine du salut. Soyons des chrétiens qui vivent tous leurs bonheurs et tous leurs malheurs dans le même amour du Christ, parce qu’ils trouvent dans cet amour une consolation qui n’est pas de ce monde, une joie surnaturelle qui tient debout toute seule, une espérance puissante qui les soutient dans leurs engagements, et qui leur fait sentir ici-bas qu’ils sont promis à une éternité de bonheur et de paix.

« Si tu le veux, tu peux me purifier ». Demandons à Dieu la grâce d’être purifiés, lavés, libérés de nos idées fausses et de nos erreurs sur notre salut. Quand le Christ attire les foules en guérissant les malades et en exorcisant les possédés, ce n’est pas pour manifester un pouvoir magique, et inviter les hommes à tenter leur chance auprès de lui, en faisant les bonnes prières, les bonnes démarches et les bons rites pour obtenir ce qu’ils veulent et retourner chez eux. Non. Quand Jésus assainit tout ce qu’il touche, et restaure l’intégrité individuelle et sociale des personnes, c’est en étant « saisi de compassion », nous dit l’évangile, c’est-à-dire en entrant par amour dans l’intimité des souffrants, des malheureux, des exclus, et en introduisant dans leur douleur la douceur même de Dieu qui transfigure tout de l’intérieur, et qui, selon sa libre volonté, rayonne dans la réalité physique de ceux qui sont diminués. Ceci pour que, librement, ses disciples après lui s’engagent sur la même voie, et continuent son œuvre par des miracles de médecine et des miracles de fraternité.

C’est lorsque l’on avance dans cette direction que le péché recule, et qu’on saisit mieux sa vraie nature. Car le péché n’est pas d’abord moral ou physique. Il est spirituel. Il n’est pas d’abord transgression de la Loi de Dieu, comme du code de la route ou d’un code de bonne conduite. Il est d’abord indifférence envers Dieu et envers le prochain. Tout le contraire de la compassion du Christ. Le péché, dans son fond, est avant tout refus d’écouter Dieu dans son histoire avec son peuple et avec ceux qui nous entourent. Le contraire du péché, ce n’est pas la vertu. C’est l’amour, l’amour de Dieu et des humains proches de nous, à commencer par les plus faibles. Et, si la Bible fait de la lèpre un symptôme éminent du péché, c’est parce que le péché ronge la vie spirituelle, défigure la vision de Dieu et coupe de la communauté croyante.

Alors, Frères et Sœurs, dans quelques jours nous allons commencer le Carême. Ce matin, le Christ nous dit « va te montrer au prêtre ». Il y a peut-être là une invitation qui nous est adressée à recevoir du prêtre le sacrement de la réconciliation comme un sacrement de guérison où notre Bon Pasteur et Bon Médecin touche notre cœur pécheur, et nous fait revenir en sa grâce. Qui sait si nous n’aurions pas à vivre nous aussi, comme saint François d’Assise, une purification du cœur qui nous libère du mal que nous ne voyons pas ? Peut-être aussi qu’avec le lépreux de l’évangile nous répandrons, tout joyeux, la Bonne Nouvelle de Dieu qui relève et qui restaure aussi bien les personnes que les liens humains autour d’elles.

Le psaume que nous avons entendu a célébré le bonheur de retrouver l’harmonie avec Dieu et avec soi-même. Ouvrons-nous donc intérieurement les uns aux autres, et partageons cette louange commune qui nous a dit : « Que le Seigneur soit votre joie. Exultez, hommes justes. Chantez votre allégresse ». Amen.

Père Patrick Faure

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